Encore une joyeuse journée !

Déjà le soir? Le ciel commençait à devenir plus foncé... Ayame était restée ici toute l'après-midi, occupée à méditer. Du coup il fallait bien dire qu'elle n'avait pas vu le temps passer. Depuis quelques semaines, elle était dans une sorte d'état second très étrange, à mi-chemin entre son état dépressif récent, et son ex-vie de tous les jours... Elle se sentait un peu à la ramasse. Elle parlait encore moins que d'habitude - c'était dire - et il lui arrivait souvent de tomber dans ce genre d'état pensif, rêveur, peuplé de remords, de nostalgie... et en un sens, de vide, aussi.

Une musique entraînante s'échappait par la porte ouverte d'un café, à même pas deux mètres de la place où elle squattait. Les tons mineurs avivaient sa mélancolie... La guitare électrique endormait sa vigilance. La voix féminine qui mélodieuse s'ajoutait au tout hypnotisait sa pensée, dors et déjà bien encombrée avec tout ce à quoi elle avait à réfléchir. L'air triste et égaré, absent... Elle fixait le vide, tout en broyant du noir sans même s'en rendre compte. Assise sur une barrière placée en bord de trottoir, les mains sur la rambarde, les pieds pendant plus ou moins dans le vide, elle arborait une pose négligée dont elle n'aurait eu absolument rien à foutre même si elle en avait eu conscience. Ce n'était plus sa propre situation, pourtant alarmante, qui l'inquiétait. Non... Il y avait plus important qu'elle-même, et elle n'avait pas l'occasion de s'apitoyer sur son sort. Il y avait quelques semaines, Kureno avait disparu. Et ça, c'était véritablement inquiétant. Il ne l'avait pas prévenue... Rien... Pas même un sms. Elle n'avait rien pu prévoir. Elle n'avait même pas pu lui parler depuis cette dernière fois où elle l'avait honteusement lâché, n'arrivant pas à gérer sa présence émotionnellement après les événements de la nuit, et après tous ces souvenirs qu'elle avait retrouvé, et qui l'avaient irrémédiablement changée. Elle n'avait même pas eu l'occasion de rompre, pour rendre à Kureno sa liberté, et cesser cours à cette relation absurde, qui n'aboutirait plus à rien...

Il était parti sans rien prendre. Il avait laissé sa chambre comme telle... Il n'avait même pas son téléphone. Du jour au lendemain, il s'était envolé... C'était étrange, et tout simplement flippant. Où avait-il pu passer..? Pourquoi cette disparition soudaine..? Ayame ne comprenait pas. Elle n'osait même pas s'imaginer le pire, alors que dans ces circonstances, il aurait été aisé de s'imaginer que...

Non. Il ne pouvait pas être mort. Et elle ferait le nécessaire pour le retrouver. Même si elle ne pouvait décemment plus avoir avec lui les même relations qu'auparavant, il restait quelqu'un qui lui était très cher. Et elle comptait bien faire son possible pour comprendre ce qui pouvait bien se passer... Sa main se resserra sur la chaîne de métal qu'elle tenait. L'une de ses possessions, parmi lesquelles elle était récemment allée fouiller pour chercher des indices. Ouip... L'université, qui n'avait pas été prévenue de l'absence de Kuro, n'avait pas mis longtemps à le considérer comme étant officiellement "porté disparu". Ils avaient voulu vider sa chambre, et mettre ses possessions à la remise, pour laisser la place libre à un nouveau colocataire pour ce cinglé d'Andrei... Ayame n'avait pas pu l'accepter. En fait, elle avait complètement fondu un plomb, et c'était un miracle si elle n'avait foutu le feu nulle part, ni à quiconque... Enragée, déraisonnable, elle en était venue aux mains pour écarter le personnel de l'antre de Kuro... Elle s'était enfermée dans la chambre avec Andrei, et tant qu'elle le pouvait encore, elle avait fouillé la piaule à la recherche d'un quelconque indice, non sans emporter avec elle les possessions auxquelles elle savait que Kureno accordait de l'importance. On savait jamais ce qui pouvait arriver.. Elle ne savait même pas ce que ces enfoirés comptaient faire de ses affaires. Profitant de la panique ambiante elle avait réussi à se casser du bahut sans mal, et s'était trainée jusque chez Angra histoire d'y poser ce qu'elle avait récupérer, même si elle se doutait bien que d'héberger les affaires de Kuro ne lui ferait foncièrement pas plaisir... Enfin. Elle s'était quand même fait caler. Pas dur vu sa couleur de cheveux, elle était loin d'être anonyme... Résultat des courses? Oh pas grand chose, si ce n'est deux membres du personnel de l'université envoyés à l'hosto avec un ou plusieurs trucs cassés, ainsi qu'une semaine d'expulsion pour elle, qui risquait fort de se changer en expulsion pure et simple suite à la commission qui devait encore avoir lieu pour décider de son sort... Mais au final elle n'en avait plus rien à faire. A quoi bon continuer d'aller en cours, maintenant qu'elle savait ce qu'elle était..? Et maintenant que sa vie avait pris cette tournure critique?

Enfin bon... Elle soupira. Elle n'allait sans doute pas rester longtemps... Il commençait à faire froid, et cet après-midi ne l'avait pas aidée à trouver quoi faire de plus au sujet de Kuro... Tss. Distraitement elle remis autour de son cou chaîne et pendentif, qu'elle avait décroché pour regarder, il y avait quelques heures. Comme souvenir de la personne chère, on faisait plus original, mais de porter ceci autour de son cou lui procurait véritablement un sentiment d'espoir dont elle avait gravement besoin.

"Tss... Où est-ce que tu t'es barré... imbécile?"

Elle secoua la tête de gauche à droite, entraînant dans le mouvement sa chevelure dorénavant courte, qui n'avait pas vraiment eu le temps de repousser. Elle leva les yeux au ciel, toujours pensive. Pourtant c'était bien inutile de regarder là haut... Ceux qui y résidaient la haïssaient froidement. Elle n'avait droit qu"à leur indifférence, voire à leur mépris. Peut-être était-ce mérité... Elle avait l'intime conviction d'être entièrement fautive quant à cette histoire de disparition. Si elle n'avait pas fait n'importe quoi... Si elle n'avait pas agi comme la dernière des salopes, tout ça ne serait jamais arrivé. Ses épaules s'affaissèrent. Rien ne servait de se plaindre, c'était sûr... On ne pouvait revenir en arrière. Tout ce qu'on pouvait faire, c'était tenter de réparer le mal qui avait été fait.

Wang, récemment naturalisé japonais grâce à des relations haut placées dans la fac d'Hokubu, et grâce à son comportement exemplaire - bien sûr, peu de gens savaient avec qui il vivait et quelle relation il entretenait avec... - ou plutôt, donc, Kurokawa Ryûichirô, passa devant une silhouette familière alors qu'il allait tout simplement acheter de quoi manger ce soir et demain au combini du coin. Cet écervelé de Taka avait zappé d'aller faire les courses, et donc c'était à lui que revenait ce devoir.

Ryu soupira. Takashi avait ses défauts oui, mais il avait bien de la chance de l'avoir rencontré. Depuis qu'il vivait avec lui, c'était comme si toutes ces histoires de démons, de monstres et de transformations n'avaient été qu'une grosse blague! Ha ha !!! ... Ha ha ha.

" Ah ? "

Le Chinois n'avait pas rêvé, si ? Il fit deux ou trois pas en arrière, pour se tourner et vérifier : si si c'était bien elle. Enfin lui. Enfin... bref. Plutôt que de la regarder dans le blanc des yeux, ça serait plus poli de la saluer non ?

" B... Bonsoir ! Ca fait longtemps que je ne t'avais pas vu ! Ca va ? "

Question conne, vu sa tronche. Ryu la regretta presque aussitôt qu'elle fut prononcée. Ayame n'avait pas vraiment l'air joyeuse, et il y avait de quoi. Apparemment, elle n'avait toujours pas réglé son problème lié à son physique...

Attendez. Ca veut dire que tout le délire démonesque et monstruosesque c'était... pas du délire ? Ryu sentit comme une nuée de corbeaux passer derrière lui et s'affaissa légèrement. A croire que près de Takashi et Yuki, il avait l'impression que le monde était le jardin des bisounours. Mais les trucs chelous desquels il avait été témoin étaient bien réels. Peut-être trop.

Il inspira un grand coup pour se redonner de la contenance, et se décida à faire quelque chose. Son amant et son cher petit pouvaient attendre encore un peu. Lançant un sourire avenant, le Chinois demanda donc à Ayame:

" On irait pas boire un café ? Je t'invite. "

C'est qu'Ayame avait l'air d'avoir des trucs à raconter, et Ryu se sentait d'humeur curieuse. Mais bien plus que ça, il se serait senti coupable de la laisser comme ça, en pleine déprime. Ryu n'était pas aveugle et n'avait pas non plus perdu son altruisme naïf et désintéressé.

Quoi de plus troublant quand on rêvasse et qu'on se laisse déprimer - sans s'en rendre compte - sur fond de musique métal, qu'un bonsoir franc venant déchirer l'harmonie tragique de la scène..? Euh... Pas mal de choses sans doute mais il fallait avouer que c'était déjà pas mal. Ayame ne s'y était pas attendue, et du coup, c'est plutôt surprise qu'elle réagit à cet appel... Puis qu'elle baissa la tête, pour plutôt que de se plonger dans la contemplation inutile du ciel, passer à celle de... Ah bah, tiens. Wang Shelong. Le prof de chinois qui l'avait aidée il y avait quelques bons mois de cela, après avoir été le premier à découvrir son secret... C'était une rencontre inattendue. Et plutôt bienvenue qui plus est. Elle n'en avait pas conscience, mais ça la changerait certainement de sa routine malsaine. N'empêche qu'elle oublia de réagir, durant quelques trois à cinq secondes.

"... Euh, ah, bonsoir..."

Si ça allait..? Euh... On allait éluder la question ça valait mieux. Et on allait plutôt se concentrer sur autre chose. Ca... C'était clair. Ca faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas vus... Ayame connaissait mal ce prof au final, mais en quelques rencontres, il avait très étonnamment réussi à mettre dans sa poche l'une des têtes de cochon les plus irrécupérables de la ville, si ce n'était pas du Japon. C'était space venant d'un prof... Il avait le don d'attirer sa sympathie, sympathie dont elle était pourtant avare. Dès qu'elle se fut reprise, et une fois parvenue à sortir de sa léthargie olympique, elle lui accorda un presque-sourire rusé.

"Ca fait bien quatre ou cinq mois oui. Et vous débarquez au milieu de nulle part alors qu'au bahut je vous ai jamais vu passer."

La vie était ironique parfois hein... Enfin, dans son cas, souvent. Et en plus elle avait l'humour corrosif, dans le sens blessant du terme. Ayame détailla d'un coup d'oeil rapide Wang, qui lui semblait changé. elle n'aurait trop su dire d'où cette impression lui venait mais.. Il y avait quelque chose de différent, même si il n'avait pas changé autant qu'elle assurément. Sans ses cheveux, la forme masculine pleinement assumée, et les fringues qui suivant son "coming-out" progressif s'étaient vu accorder un level-up en qualité, quoi qu'elle ait invariablement gardé son habitude de porte des chemises sombres...

C'était marrant. De voir Wang réveillait en elle des souvenirs de jours meilleurs. Elle aurait pu se sentir nostalgique, et d'autant plus affectée, mais même pas. C'était... rafraîchissant. En un sens, c'était même soulageant. Elle coinça les mains dans ses poches après avoir glissé le pendentif de Kureno dans le col de sa chemise, puis elle descendit de son perchoir, et haussa les épaules.

"Pourquoi pas... J'allais partir, mais j'ai rien à faire."

Elle n'était pas du genre à accepter si facilement une invitation en temps normal, mais... Wang avait décidément le don d'amadouer les bestiaux difficiles. Peut-être aussi ressentait-elle le besoin de se changer les idées aussi, fallait dire. A force de broyer du noir, en elle, tout était en train de se décolorer. Elle tourna la tête en direction du café voisin, dans lequel la musique venait de cesser, pour passer au titre suivant, lequel avait l'air un chouilla plus calme, mais encore plus triste et lancinant qu'auparavant, c'est ici qu'il pensait aller..?

"... Ca ferait presque plaisir de vous voir en fait."

Euh... C'était pas ça qu'elle avait prévu de dire au départ, mais ça aussi c'était vrai. Notons le presque. Nan, parce que sans le presque ça aurait sonné comme un compliment. Et Ayame, faire un compliment... Fallait pas rêver non plus. Constatant comme sa vie avait évolué depuis qu'elle avait adopté l'identité de Kenji, elle sentit la nostalgie remonter en flèche, pour teinter de vide son regard turquoise.

Ah, Ayame devait être perdue dans ses pensées, car elle mis du temps à percuter. Pas grave, Ryu pouvait comprendre, et attendit sagement que la jeune femme... homme n'atterrisse. D'ailleurs, sa réaction fit sourire un peu plus le professeur de chinois, qui lui lança joyeusement:

" Désolé de te sortir la tête des étoiles ! "

Il lui demanda alors des nouvelles d'elle, et il se rendit bien compte de la question qu'elle avait évincé. Il ne lui en voulait pas, à sa place, il aurait certainement fait pareil. De toute façon, elle était con cette question. Par contre la remarque d'Ayame était pleine de bon sens, et elle fit rire Ryûichirô.

" Oui ! Etrange, n'est-ce pas ? Enfin l'important n'est pas là, je suis surtout très content de te revoir et de pouvoir avoir des nouvelles de toi ! "

Ryu était sincère. Il l'était tout le temps, de toute façon. Revoir Ayame lui faisait tout drôle, comme s'il venait de se réveiller d'un long rêve, ou alors, qu'il replongeait dans un vieux cauchemar. Mais pas pour en revivre les pires moments, mais les meilleurs. Ryu eut alors une pensée étrange: peut-être qu'il serait moins utile à Ayame maintenant qu'il avait trouvé stabilité et bonheur. Tout n'était pas rose tout le temps, mais presque. Il n'aurait pu rêver mieux, à vivre entre son fils chéri et son amant dévoué. Oui, depuis le temps, se dire que Takashi était un homme, tout comme lui, ne le gênait plus. C'était l'évidence même que Takashi et lui étaient des hommes non ? Pas de seins, du poil au menton dont il fallait s'occuper chaque jour ou presque, et un joli service trois pièces. Mais où était le problème ? Et oui, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ou du moins, dans le monde de Ryûichirô.

Ayame accepta la proposition de Ryu, pour le plus grand plaisir de ce dernier. Mais où aller ? Peut-être Aya avait-elle une idée... sinon, pourquoi pas ce bar devant lequel ils squattaient ? Au moins ça évitait de trop marcher pour rien. Quant à la remarque de la jeune personne - au moins ce terme est-il unisexe - Ryu n'y fit pas attention. C'était un compliment pour lui, venant d'Ayame.

" Bien ! Allons dans ce bar alors. La musique me plaît assez. "

Oui, étonnant, n'est-ce pas ? Ryu n'était pas du genre à écouter de la vieille musique traditionnelle chiante, non il écoutait du rock ! Bah il faisait peut-être archaïque dans sa manière de penser et d'être, mais il sortait pas tout droit du IIe siècle chinois non plus ! Il entra donc dans l'établissement, s'assurant qu'Ayame le suivait. Il s'installa alors à une table en retrait, de seulement deux places. Au moins il était sûr que personne ne viendrait les embêter, sauf peut-être le serveur. Mais ça c'était normal, hein.

La tête dans les étoiles..? Les étoiles parmi lesquelles Ayame était étaient plutôt sombre alors hein, à l'exception d'une Etoile du Matin peut-être qu'il ne valait mieux pas qu'elle rencontre... Enfin. C'était plutôt étonnant: les dernières fois qu'elle avait parlé à Wang, il lui avait paru plus... fermé. Plus réservé, et définitivement plus pessimiste. Il avait du se passer pas mal de trucs dans sa vie pour qu'il en vienne à là où il en était maintenant... Le pire quand même c'est qu'il en arrivait à être "très content de la revoir". Le terme la fit tiquer, et elle cilla, clairement étonnée. Il fallait bien comprendre que c'était plutôt rare que quiconque soit très content de quoi ce soit de ce qu'elle faisait... Et c'était encore plus rare que quelqu'un soit content de la revoir. En général c'était plutôt le contraire.

"C'est... sympa de votre part."

Oui bon on trouvait mieux comme réponse, mais fallait avouer que prise au dépourvu elle n'avait pas disposé de plus de répartie que ça. Pas grave... De toutes les manières on passait déjà à la suite. Et la suite s'appelait "café", ce qui n'était pas trop mal comme idée, car même si elle doutait que ça ait quelque influence sur son organisme, elle avait bien besoin de ça pour l'aider à se réveiller de sa léthargie. Le bar d'à côté, qui avait des allures de salon de thé trash, était une bonne idée. C'était pas son préféré mais elle l'aimait bien. Les proprios étaient sympa, la boisson bonne et... Peu de vieilles connaissances trainaient dans le coin, ce qui était un facteur de tranquillité peu négligeable.

"Ca me va. "

Après avoir acquiescé, elle suivit donc Wang à l'intérieur du bar, et s'installa face à lui lorsqu'il eut choisi la table. Des nouvelles hein..? Pauvre Wang. Si il voulait vraiment de ses nouvelles, il risquait d'halluciner. Voire de flipper. Elle ne savait pas trop si c'était une brillante idée de lui expliquer l'intégralité de ses déboires en fait, quoi qu'elle en eut presque envie... Mais enfin. Le bonheur était une chose étrange, et celui de Wang la rendait plutôt curieuse, sachant que quelques mois avant ça il était dans un état limite pire que le sien, sans compter les cernes et les insomnies.

"Vous avez l'air en forme. On dirait bien que vos problèmes ont fini par s'évaporer non? Comme quoi tout est possible".

Léger rire, ironique. Tout était possible oui... Wang le dépressif était devenu heureux, et elle-même s'était changée en pseudo-réincarnation d'un des démons les plus haut-placés des enfers. Yay. La vie était extrêmement drôle quand elle s'y mettait. Vu qu'un serveur les abordait, Ayame préféra la mettre en veilleuse pour le moment. Elle commanda un GRAND café, vu qu'elle ne se sentait vraiment pas d'humeur à boire autre chose, puis elle passa la main à Wang, d'un coup d'oeil qui l'espace d'une seconde avait eu un air bizarre. Ses pupilles n'avaient-elles pas pris la forme de celles d'un chat durant un court laps de temps, là..? . Ca avait été rapide, et elle ne s'en était même pas rendue compte. Et heureusement.

C'est vrai que depuis qu'Ayame et Ryu s'étaient perdus de vue, alors même qu'ils fréquentaient Hokubu tout les deux, la vie du Chinois s'était considérablement embellie. Il avait réussi à remonter la pente, pour une raison simple et évidente: il n'était plus seul. Il avait Takashi à ses côtés et Yuki à protéger maintenant. Il n'avait plus vraiment le temps de se morfondre.

Cela dit, Ryu ne s'en était pas vraiment rendu compte. Il préférait ne pas repenser aux nuits qu'il avait passé sur le toit de la fac, incapable de trouver le sommeil. Des nuits passées en compagnie plus que douteuse... et qui avait valu des blessures terribles à son cher Takashi. Tout ça était bien loin désormais. Mais Ayame, quant à elle, semblait en être restée au même point. A moins que sa situation n'ait encore empiré. Enfin, valait mieux en parler autour d'un bon café, voilà pourquoi Ryu fit cette proposition, qu'Ayame accepta presque aussitôt.

Une fois assis, Ayame commença à parler, et Ryu put se rendre compte que si sa vie avait bien changée, et en mieux, ce n'était pas le cas de celle de son interlocutrice... teur. Il allait répondre quand le serveur apparut. Hmm... Ryu n'avait jamais été très café, et le thé n'était bon que s'il était bien préparé, et donc, préparé par ses soins.

" Un grand chocolat chaud pour moi. "

Hop là, le serveur s'était de nouveau évaporé. Ryu se tourna vers Ayame, et s'il perdit son sourire joyeux, il garda son regard bienveillant et sa bonne humeur.

" Disons que mes problèmes n'ont pas tous disparus. Certains sont enfermés loin de moi, et tant mieux, d'autres sont simplement passés au second plan. On s'ennuirait vite si la vie était sans problèmes. Mais les tiens n'ont pas l'air d'avoir disparus. "

Pas dur de le constater, ça. Ayame était toujours un mec, et si Ryu avait été remplacé par un certain Monsieur H. (non pas Hiruma mais presque), il aurait fait la remarque intérieure qu'Ayame était d'ailleurs un trèc beau mec. Mais Ryu avait beau vivre avec un homme, il n'était pas du genre à en regarder d'autres. C'était pas dans son caractère.

" Je sais bien que je peux pas faire grand chose, mais au moins, tu peux m'en parler. Je sais que tu n'es ni folle, ni extra-terrestre. "

C'était un bon point ça d'ailleurs. Et puis... Ryu n'arrivait pas à se faire au nouveau sexe d'Ayame. Pour lui, ce sera toujours une fille. Parce que hé, c'était une fille, non ? Hmm... S'il se faisait passer pour transsexuel, y'avait peut-être moyen d'inverser cette malédiction, non ? Non ?

Le serveur revint avec leurs commandes, stoppant le cours des pensées de Ryûichirô. Ce dernier accueillit son chocolat avec un sourire poli, et y versa le sucre. Valait mieux attendre un peu que ça soit moins chaud cela dit. Bien que beaucoup de choses aient changé et qu'il soit moins réservé qu'avant, Ryu gardait ses manières affectées et légèrement effeminées, et en y regardant de plus près, Ayame pourra constater qu'il est toujours aussi soigneux, que ce soit pour ses cheveux, ses mains ou ses vêtements.

(Argh naon, Ryu va se transformer en Death the Kid!)

On s'ennuierait vite si la vie était sans problèmes? C'était pas faux. Mais Ayame avait tendance à penser qu'il y avait des limites, tout de même... Et les limites, ça faisait trois plombes qu'elle les avait dépassées. Au moins dix fois dépassées d'ailleurs. Ca, Wang pouvait le dire... Ses problèmes n'avaient pas disparu. Ils avaient muté - comme elle - jusqu'à devenir mille fois pire encore que ce qu'ils avaient été. Si elle avait pu redevenir telle qu'elle était le dernier jour où elle avait vu Wang, alors qu'elle était sur le point de rentrer une seconde fois à l'université sous les traits de Kobayashi Kenji... Elle aurait été heureuse. Extrêmement heureuse... Un sourire triste, teinté d'amertume, se dessina sur son visage. Et elle ne put s'empêcher de commenter:

"Vous ne croyez pas si bien dire..."

Lui en parler hein..? Oui... Elle allait peut-être le faire, même si elle craignait un peu sa réaction... Elle pouvait se le permettre, parce que Wang n'était pas assez proche d'elle pour être affecté, ou mis en danger par les révélations qu'elle avait à faire. Pensive, elle hésita quelques secondes... Avant de tiquer sur la fin de la phrase du chinois. Ni folle, ni extra-terrestre hein..? Non en effet, elle était bien pire que ça. Le pauvre prof se trouvait en compagnie d'un démon majeur complètement cinglé si ce n'est schizo, capable de changer d'attitude dans la minute et de le violer sur place voire de le carboniser dans le pire des cas... Mais à part ça c'était pas grave. Elle renifla, et lui jeta un coup d'oeil rapide, avant d'inspecter les alentours pour vérifier que personne n'était assez près d'eux pour entendre à la fois ce qui venait de se dire, et ce qui était à venir dans la discussion. Il avait utilisé le féminin... Ca lui avait fait bizarre, parce qu'il fallait bien dire que les deux seules personnes qui utilisaient encore le féminin pour parler d'elle, c'était Kureno - qui avait disparu - et c'était Angra - qui l'utilisait de moins en moins fallait bien avouer, au fur et à mesure que intérieurement, elle évoluait.

"Extra-terrestre, pas dans le sens courant du terme, et fou, je dois vous avouer que ça dépend des fois... Mais si vous êtes sûr de vouloir entendre ça, ça me gêne pas de vous raconter ce qu'il s'est passé depuis la dernière fois... Même si je suis pas sûr de pouvoir résumer ça de façon super cohérente c'est... un peu compliqué en fait."

Elle utiliserait le masculin, quant à elle, comme elle le faisait toujours en public. Depuis qu'elle avait retrouvé la majorité de ses souvenirs du Zohar, intérieurement, son genre n'était plus clair. Elle était "il"... Elle était "elle"... C'était du pareil au même. Et c'était en ce moment plus "il" que "elle" d'ailleurs. Ses problèmes d'identité étaient à ce niveau depuis longtemps oubliés... Elle en profita d'ailleurs pour le signaler à Wang, non sans hausser les épaules:

"Ah oui... Déjà je dois vous dire que mes problèmes n'ont plus rien à voir avec le fait que je sois un homme. C'était quelque chose qui dérangeait Ayame. Hors... J'ai découvert que je n'étais pas vraiment Ayame. Enfin... Plus précisément je ne suis pas QUE elle. Mais vous feriez mieux de m'appeler Kobayashi Kenji, ça sera plus simple pour tout le monde..."

Elle se tut un instant, le serveur étant de retour pour leur livrer café et chocolat chaud... Il repartit bien vite, et elle en profita pour sortir une clope de sa poche. C'était pas méga autorisé, mais ils étaient dans un coin isolé, alors il faudrait le temps avant que quiconque se rende compte qu'elle était en train de cloper en toute impunité. Si Wang la laissait faire mais franchement ils étaient pas à ça près hein... Puis ça lui permettait d'introduire son problème en plus.

"Vous me croiriez si je vous disais que je n'étais pas humain..? Je pense que oui vu vos antécédents, mais... Peut-être que je ferais mieux de reprendre ça dans l'ordre chronologique en fait."

Elle coinça la cigarette entre ses lèvres, leva un pouce et... Oui, en effet. Ne prit pas la peine d'utiliser un briquet. De toutes les manières depuis qu'elle pouvait s'en passer elle n'en avait plus. Son pouce s'était enflammé d'un coup, la flammèche folle avait touché la clope, qui s'était donc allumée. Puis elle avait reposé la main sur la table comme si de rien n'était.

"Vous savez que j'ai pris contact avec une personne capable selon ses dires de régler ce que je considérais comme étant "mon problème", à l'époque... Ca a mal tourné, et je me suis retrouvé coincé sous cette unique forme. C'est là que j'ai du utiliser une double identité, au bahut... Je pense qu'on peut dire que ça a commencé à ce moment. Ou plus précisément quelques mois plus tard... J'étais avec quelqu'un avec qui je partageais quelque chose que... j'avais jamais connu avant. C'était magique, mais il était hétéro... Du coup ça a jeté un froid... Au bout de quelques mois, ça, plus le fait de ne pas assumer ce que j'étais devenu... c'est devenu insupportable."

Elle se tut un instant, les yeux dans le vague. Souriant doucement, elle porta la clope à ses lèvres... Se mettre à discuter comme ça... C'était zarbe. Elle avait tendance à ne jamais se confier à quiconque, mais du moment où Wang l'avait demandé, elle s'était mise à lui raconter sa vie sans gêne quelconque... Ce prof avait décidément une fichue influence sur elle.

"C'est zarbe de repenser à tout ça... C'est comme si ça n'avait jamais existé, tellement ça me semble lointain, et futile..."

Moment de silence... Elle cherchait comment formuler la suite.

Ryu se doutait qu'Ayame aurait du mal à raconter son histoire, en grande partie à cause de son caractère fantastique à la limite de l'heroic fantasy ou du film d'horreur. Mais le Chinois était patient, et avait lui-même vécu des trucs un peu louches à Hokubu, alors même si l'histoire d'Ayame était dix fois plus tordue que celle de Wraith, il serait quand même capable de la croire et de la comprendre.

Ayame commença enfin son récit, après avoir prévenu que ce serait pas forcément cohérent puisque de toute façon c'était monstrueusement compliqué. Okay, pas grave, Ryu ferait avec. Il notait également l'emploi du masculin pour désigner sa propre personne, ce qui était loin d'être anodin. Et justement, Ayame tenta de lui expliquer la raison de ce changement. Ryu acquiesça, jusque là c'était pas encore trop trop compliqué.

" D'accord, comme tu voudras. "

Le serveur apporta alors leurs consommations, les forçant au silence pendant quelques instants. Puis il repartit d'où il était venu, les laissant tranquille à nouveau . Bon timing pour Kenji, qui décida de se laisser à aller à fumer une clope. En temps normal, Ryu aurait lancé une réflexion sur un ton plaisantin, mais là il se retint. Après tout, c'était pas non plus la mort, une clope.

Il lui annonça donc qu'il était pas humain. Ah ouais quand même. Sûr que là les problèmes allaient être plus compliqués oui... Et comme preuve, il alluma sa clope, avec son pouce. Original. Ryu ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux, et d'entrouvrir ses lèvres. Assez comique comme vision, mais croyez-le, Ryu n'avait pas vraiment envie de rire. Ouais, c'était du sérieux là quand même. Il hocha la tête, mais ne dit rien, préférant laisser Kenji poursuivre son récit.

Apparemment, c'était plutôt l'accumulation des problèmes sans avoir de soutien sur lequel s'appuyer qui avait mis Kenji dans un tel état. Ryu touilla son chocolat chaud de manière distraite et répondit:

" J'avoue que seul, sans personne pour appui, c'est déjà beaucoup plus dur de faire face. "

La voix de Ryu s'éteignit. Sans s'en rendre compte, il s'imaginait aujourd'hui, s'il n'avait pas rencontré Takashi. Il aurait certainement déjà tué une certaine personne, et serait toujours aussi dépressif et dark qu'avant. Taka avait ses défauts, mais il avait le mérite d'avoir fait remonter la pente à Ryu, ce qui n'était pas peu dire.

Finalement, Ryu était là, mais il ne savait pas vraiment quoi dire et se contentait de regarder son chocolat dans le blanc des yeux. La vie de Kenji, enfin d'Ayame, semblait vraiment pourrie au possible. Enfin... Au moins si le jeune homme avait besoin de parler - Ryu était bien incapable de faire autre chose que d'écouter - il savait à quelle porte sonner, hmm ?

Ayame ne prit pas garde à la réaction de Wang, quand elle alluma sa cigarette rien qu'avec les mains. Elle s'y était un peu attendue. En fait, elle avait même pensé à pire... Mais puisque Wang semblait trouver que tout allait bien, et qu'il avait l'air d'être prêt à continuer d'écouter son récit, elle continua.

A vrai dire jusqu'à présent elle n'avait pas fait l'effort d'essayer de le remettre à plat... De suivre le fil des événements de manière chronologique. En parler, et aplanir le tout calmement, lui faisait plus de bien qu'elle n'aurait pu le penser. Pourtant, il ne lui était pas aisé de s'exprimer. Elle butait, marquait des arrêts, ne savait plus par quoi continuer... Normal, quand on a à raconter une histoire telle que celle qui caractérisait ses derniers mois... Voire sa vie entière.

Ce n'était pas une nouvelle... Wang était très compréhensif. Il n'avait eu aucun mal à saisir l'origine de son mal-être, même si il était encore très loin d'avoir en tête toutes les données du problème. Elle lui accorda un regard clair, plus doux, et plus ouvert, qu'elle n'en avait l'habitude. Puis elle acquiesça, avant de tirer sur sa cigarette longuement. Elle n'avait même pas pensé à demander à Wang si ça le dérangeait mais là... Elle avait besoin de ça pour se concentrer. Puis ça la réconfortait toujours un peu... Et d'autant plus maintenant qu'elle savait que ça ne la ferait pas crever à l'âge de 35 ans.

"Y a de ça... Pourtant je peux vous assurer que j'ai l'habitude des galères, et de régler mes problèmes seul, mais j'ai fini par atteindre mes limites. Enfin... à ce moment ça allait encore, même si à l'époque j'imaginais pas que ça puisse encore empirer."

Encore un instant de silence. La lueur dans son regard s'éteint, et redevint opaque, alors qu'elle se replongeait dans un passé désagréable.

"A ce moment là je ne savais pas exactement ce qu'il se passait. J'ai pris peur, je changeais intérieurement... Je pensais qu'après avoir évolué physiquement, j'étais en train de subir la même chose sur le plan mental. D'un autre côté, je comprenais que ça valait peut-être mieux que de vivre éternellement en désaccord avec moi-même... mais... je n'en voulais pas quand même. J'ai fini par tromper la personne avec qui j'étais... avec une femme. Je crois que j'essayais de me prouver que je n'en étais pas capable. Mais ça a été loin d'être le cas..."

Elle se rappelait encore de ce jour où elle avait vu Jennifer d'un peu trop près. Elle s'en rappelait même très bien... C'est là qu'une partie de Samaël s'était réveillée en elle pour la première fois, stimulée par l'appel de son péché de prédilection. Ses épaules s'affaissèrent. Elle avait honte de ce qu'elle avait fait, même encore maintenant...

"De là, je crois que j'ai vraiment commencé à changer. Je devenais de plus en plus "homme". Kureno - mon petit ami - s'éloignait de plus en plus de moi... A moins que ce ne soit moi.. Je sentais que ça allait finir par rompre. C'était mon unique préoccupation... Tss."

Un sourire indulgent passa sur son visage. Tout était encore si simple à ce moment... alors qu'elle pensait à l'époque avoir touché le fond.

"Puis j'ai commencé à traîner avec ce type... Han-Ryu. Celui à cause de qui je me suis retrouvé coincé sous cette apparence. Il était double, à ce moment. Il avait quelqu'un d'autre en lui, un démon, nommé Angra Mainyu. Comme je pensais que mes problèmes étaient du fait d'Angra, j'ai pardonné à Han-Ryu, tandis que je haïssais Angra. Vous voyez le truc..? Puis.. Quelque chose a fini par se débloquer en moi, et j'ai commencé à pouvoir... cracher des flammes, dirons nous. Si ça c'était arrêté là ça aurait été. Mais Angra m'a cherché après avoir découvert que j'étais un démon, dont le péché principal se trouvait être la luxure... Il a bien manqué de le regretter parce que... J'ai failli le violer."

Elle releva la tête. Dans son regard turquoise couvait une douleur indicible, liée à la haine qu'elle portait à ses tendances schizophréniques, qui la rendaient extrêmement dangereuse, puisqu'elle ne savait les contrôler.

"Je ne suis pas Ayame. Je suis quelque chose qui n'aurait pas du voir le jour. Ayame et un démon nommé Samaël ont fusionné un soir tandis qu'elle retournait dans sa chambre, et qu'il cherchait un hôte dans le but de se régénérer. Il est mort en entrant en elle, et leurs corps et âmes ce sont parfaitement mélangés... Jusqu'à me créer, disposant alors des souvenirs et de la personnalité d'Ayame. D'où les changements de corps... D'où tout le reste. Mais je finis par progressivement redevenir aussi cette autre partie de moi. Je ne me contrôle pas, je ne sais pas combien de temps je pourrai rester un tant soit peu humain, ni combien de temps je garderai mes souvenirs de cette vie... Samaël a tendance à effacer Ayame. En un sens, je me dis que vous feriez mieux de partir professeur... Même si je ne pense pas risquer un quelconque changement de personnalité pour le moment... C'est pas très prudent, je dois vous avouer."

Elle s'arrêta, et termina son café. Mince... Pourtant, elle avait bien d'autres soucis, mais de se rappeler à quel point elle pouvait être infâme venait de lui foutre un coup de barre à mine en plein le moral, bien comme il faut. Wang semblait tellement heureux... Il était tellement bienveillant que... Elle détourna les yeux, soucieuse. Elle n'osait plus le regarder.

Une pichenette sur un caillou qui fait se déclencher une avalanche de rochers. C'est un peu l'impression qu'avait Ryu quand il avait dit ce qu'il pensait à Kenji. Et l'avalanche était bien au rendez-vous. A vrai dire, Ryu ne se serait pas attendu à un si long récit. Apparemment, il était plus persuasif qu'il ne le pensait lui-même.

Tout du long, Ryu ne prononça pas un mot. Au passage concernant Kureno, il eut un pincement au coeur, imaginant ce que ça aurait pu être s'il avait été à la place d'Ayame, et se consola dans une gorgée de chocolat - maintenant à la bonne température. Ce genre de problèmes n'étaient pas spécifiques aux victimes de réincarnations démoniaques, donc Ryu pouvait comprendre. Mieux que Kenji ne pourrait le penser d'ailleurs. Kof kof.

La suite était déjà moins simple à suivre et beaucoup plus sombre. Ryu en délaissait même son chocolat. Comme ça c'était pas la seule schizo à Hokubu hein... Et puis Han-Ryu c'était un nom qui disait quelque chose au professeur de Chinois. Enfin bref, tout ce que le Chinois retint de ce passage c'était flammes, démon et viol. Ah ouais sympa... Son regard se détourna, et il était visiblement mal à l'aise. Cependant, il ne bougea pas de la table: pas question de fuir. Après tout, si Kenji lui racontait tout ça, c'est qu'il avait encore sa conscience. C'était l'important.

Chapitre suivant, en forme de conclusion... Ryu commençait à cerner plus ou moins le problème, même s'il était invraisemblable. Bien sûr, le Chinois avait peur, très peur, mais plus encore, il avait envie d'aider Ayame, ou ce qui avait pris sa place, du mieux qu'il le pouvait. Parce qu'elle avait beau être un méchant monstre pas beau tout vilain, actuellement, ce que Ryu avait devant les yeux, c'était quelqu'un qui n'allait pas bien, déprimé et seul.

Ryu reprit une gorgée de son chocolat, impassible, lui-même se demandant comment il pouvait avoir autant de recul. Tout ça pour lâcher, finalement:

" Je te suis inutile, tes problèmes dépassent mon entendement mais il y a une chose que je sais : n'abandonne pas si facilement. Tout ce que tu viens de me dire prouve que la victoire n'est pas acquise à Samaël. Ne baisse pas les bras. "

Ryu marqua une pause et continua à parler, d'un ton parfaitement calme, cachant sa main tremblante sous la table parce que oui, il avait la trouille quand même, fallait pas abuser...

" Tout le monde a une partie de lui dont il a peur, et les plus dangereux sont ceux qui ignorent cette peur ou qui n'en ont pas. Au moins tu as conscience de ce qu'il se passe et tu peux encore changer les choses. Même si je le répète, je ne suis pas vraiment démonologue et encore moins exorciste. "

Une pensée traversa alors l'esprit de Ryu alors qu'il buvait encore un peu de son chocolat. Ce Kureno... n'avait-il pas été porté disparu ?

" Au fait, Kureno... Takahashi Kureno ? ... "

Ryûichirô ne dit rien de plus, ne sachant trop comment embrayer. Peut-être qu'Ayame voulait le revoir peut-être pas, et puis sa disparition avait peut-être un rapport avec ce qu'Aya venait de raconter ? Pas que le Chinois pensait qu'elle l'avait tué... mais presque. Sous la table, la main gauche de Ryu était devenue incontrôlable.

Franchement... Sa vie était tellement compliquée qu'elle lui en donnait mal à la tête. Son crâne chauffait sévère depuis quelques minutes qu'elle avait abordé le gros du problème... Et en fait cette partie des récents événements n'était pas si agréable que ça à résumer. Ca faisait remonter en elle des facteurs de déprime, et des craintes, qu'elle était parvenue à un peu dépasser. Mais bon.. Maintenant qu'elle était partie, autant finir. On verrait bien si ça pouvait avoir une quelconque influence positive sur son moral par l'avenir... Puis Wang méritait d'être au courant. Au moins, il savait à quoi s'attendre, et il pourrait par l'avenir la fuir comme la peste si ça lui chantait. Et même si pour l'instant il ne semblait pas prêt à partir. Pourtant, Ayame savait que son récit ne l'avait pas laissé indifférent. Il ne le montrait pas, et elle lui en était reconnaissante, quoiqu'elle n'aurait pas pu lui en vouloir... Mais il devait avoir peur d'elle, c'était évident. Comment aurait-il pu en être autrement après ce qu'elle lui avait dit..? C'était limite si elle n'avait pas fait en sorte qu'il soit effrayé.

Elle prit en compte ses conseils, ceci dit. Ils avaient toujours été plutôt bons jusqu'à présent. Même si elle avait déjà entendu ça ailleurs. Personne ne pouvait rien faire pour elle si ce n'est elle-même oui... Et elle ne devait pas s'avouer vaincue dans ce combat qu'elle menait contre elle-même. Elle le savait bien. Elle ne cessait de se le répéter, même si elle avait ses moments de faiblesse. A nouveau, elle eut un sourire triste. Elle ne se remit pas à regarder Wang pour autant:

"Vous n'êtes pas le premier à me le dire, un ange qui passait par là a fait pareil... Mais ne vous inquiétez pas pour ça. Je ne compte pas abandonner. Je résisterai jusqu'au bout."

Un ange hein..? Ashen. Elle n'avait pas été obligée de le citer, mais elle avait eu envie. Allons savoir pourquoi. Bref. Elle continua d'écouter Wang, lequel continuait de dire des choses intéressantes... Même si la toute dernière la fit surtout rire.

"Même si ça avait été le cas vous auriez eu du mal à m'exorciser de moi-même! Non... Je vais devoir assumer mes deux identités vous savez? J'espère juste être capable de garder la raison et les sentiments que j'ai acquis durant ces dernières années..."

Elle ressentait toujours ce besoin de préciser que Samaël et elle-même étaient une seule et même entité. Elle avait beau encore haïr cette partie d'elle-même... Elle ne pouvait l'ignorer, et ne pouvaient laisser les autres se tromper sur ce qu'elle était. Bon... Euh... Alors ensuite... Kure..? !

Elle accusa le coup et tourna la tête vivement, pour plonger les yeux qu'elle avait tout ce temps gardé distants dans ceux de son interlocuteurs. D'abord purement surpris, ces derniers... Se teintèrent bientôt de larmes, et elle baissa la tête, pour cacher ces fichues gouttelettes qui perlaient à ses yeux. Elle posa les mains sur la table... l'un de ses poings, serrés. Puis après quelques secondes de silence, si ce n'est de recueillement, elle acquiesça. Même si la réponse était évidente, sans même qu'elle ait à la formuler.

"C'était... Enfin. C'est lui oui..... Je..."

Allez... Doucement. Elle s'arrêta, souffla, reprit sa respiration... et continua. Qu'allait penser Wang si elle s'arrêtait là hein..? Il allait finir par vraiment partir en courant.

"Les choses ont évolué, Han-Ryu et Angra se sont séparés... J'ai appris à mieux connaître Angra même si c'est pas parfait, et en définitive au lieu de le haïr... Je... bref. Je l'aime. C'était le bordel du coup, d'autant que je me sentais plus très clair vis-à-vis de Kureno... J'avais peur de lui faire du mal, j'ai pensé qu'il valait mieux qu'on se quitte mais... J'ai pas eu le temps de rompre... Il a disparu avant..."

Elle passa une main sur son front, et appuya ses coudes sur la table, non sans regarder l'extérieur, dans le vague... Ses yeux ne se désemplissaient plus.

"Je sais pas où il est passé... J'ai tenté de les empêcher de vider sa chambre mais j'ai juste réussi à me faire virer de l'université..."

Silence. Elle se sentait mal... Holà oui. Très mal. Nom d'un chien c'était réussi...

Alors ça, première bonne nouvelle, Kenji avait croisé la route d'un ange. Peut-être que s'il s'entretenait avec lui plutôt qu'avec un pauvre professeur de chinois, ça lui serait plus utile non ? La peur semblait s'effacer lentement du corps de Ryu, et surtout de sa main.

" Tu devrais essayer de retrouver cet ange, non ? "

Stop stop STOP. Arrêt sur images. Imaginez cette conversation, d'un point de vue extérieur. Nan mais c'était incroyable, ça parlait d'anges et de démons comme on parlait d'oranges et de patates. Le serveur qui laissait traîner son oreille à ce moment pensa vraiment se gourer sur la teneur des propos des deux hommes. Ahahaha !!! S'il savait ! Ha. ha.
Le serveur qui était passé près de leur table échappa totalement à l'attention de Ryu, et certainement aussi à celle de Kenji. L'important était qu'il n'avait pas vu ce dernier cloper, non ? Alors tout était bien.
D'ailleurs, l'affirmation que lança Kenji à ce moment confortait Ryu dans cette idée. Oh, avec des efforts, de la persevérance et aussi un peu de soutien, il réussirait à ne pas devenir fou. Ryu comptait sur lui pour ça.

C'est alors qu'il eut un flash, et qu'il se souvint du Kureno en question. On en avait pas mal parlé à la fac, en fait. Ryu demanda confirmation, et vu la tête de Kenji, il avait visé juste. Arf, vraiment pas de bol le petiot :/ Ryu prit une moue désolée, mais ne dit rien, le temps que Kenji reprenne son calme et continue sur sa lancée. L'avalanche n'était pas encore terminée.

" Hmm je vois... Sans trop m'avancer, je pense que tu as raison de ne pas oublier Kureno, mais pas au point de gâcher ton présent. Et ton présent, c'est Angra... même si franchement, je comprend pas... Enfin. Desfois je me demande comment je fais moi-même pour être avec mon compagnon ! "

Il rit doucement. Les affaires de coeur, tous démons mis à part, c'était déjà plus facile à cerner, mais plus important et plus difficile à régler. Il avait eu de la chance de son côté, Takashi ne lui avait jamais laissé le loisir de trop réfléchir à ce qu'il faisait. Maintenant, plus vraiment la peine de se poser des pourquoi et des comment. C'était comme ça, point barre.

Retrouver l'ange..? Retrouver Ashen? Ayame ricana à cette idée... La partie d'elle-même qui n'était pas humaine n'en avait pas très envie, d'autant qu'Ashen ne pouvait rien faire de plus pour elle que Wang... Les démons et les anges n'étaient pas compatibles. Surtout quand le démon dont il était question était un ange déchu...

"J'ai... De mauvais souvenirs des anges. Ce n'est pas de sa faute mais rien que son odeur me donne la nausée. Ca me rappelle un endroit maudit où j'ai vécu comme un paria, avant la déchéance. Il a été très juste avec moi, il m'a même donné ma chance, un peu comme vous... Mais je ne pense pas qu'il puisse m'aider plus que ça."

Elle haussa les épaules, pas indifférente, mais presque. Elle n'avait plus rien à voir avec les anges, et c'était tant mieux. Puis... Bon, tout d'un coup ça allait tout de suite moins bien. Wang évoqua Kureno, de manière abrupte, si bien que son self control chavira et manqua de s'écrouler. Elle se retînt ceci dit... Histoire d'expliquer brièvement de quoi il était question à Wang, avant qu'il ne se fasse des idées. Elle essayait de relativiser, mais c'était difficile... D'autant qu'avec Angra, son "présent", ça ne se passait pas forcément au mieux, avec ces histoires d'Han-Ryu, de lueur rouge de tremblements de terre et de créatures du néant. Elle essaya de sourire hein...

"Je dois vous avouer que je comprend pas bien non plus comment ça a pu arriver... Lui non plus je pense. On se détestait, on était aussi compatibles que des aimants de même polarité - d'ailleurs ça a pas tellement changé - ... et paf, c'est venu. On arrête pas de s'engueuler mais je sais pas ce que je ferais sans lui à l'heure actuelle... Je pense que je serais encore plus paumée que je ne le suis déjà."

Bon Han-Ryu n'y avait pas été pour rien, mais maintenant, elle comprenait qu'elle avait commencé à tomber amoureuse avant même qu'Han-Ryu ne s'en rende compte... Et donc avant même qu'il y mette du sien. Parfois, la vie nous accordait de drôles de surprises. Paf badaboum, la tentative de sourire retomba vite au point mort.

"... Mais c'est pas facile. On a quelques problèmes... de gros problèmes. Enfin... J'espère que Kureno... est encore en vie. Je suis sûr que c'est de ma faute si il est parti.... J'ai vraiment mal agi à son égard. Enfin..."

Elle soupira. Une fois encore elle se le répétait: rien ne servait de ruminer le passé. Il n'y avait que sur l'avenir, qu'on pouvait influer. Bon eh bien puisque... ..? Euh... Qu'entendait-elle exactement là..? Son expression se fit glaciale, et elle tourna les yeux sur sa droite, où un groupe d'étudiants étaient en train de discuter joyeusement... de choses inacceptables.

"Ouais il parait qu'ils ont refilé tout ce qui restait à ses parents. Mais ce type là, Kobayashi, on a pas réussi à l'attraper tout de suite, une vraie calamité! Tu sais il parait qu'il fait du tae kwon do à haut niveau, ou un truc comme ça.. du coup pour le choper c'était dur. Il a eu le temps de se barrer avec des trucs je suis sûr... Mais il vont même pas le poursuivre en justice, une exclusion ça leur suffit..."

"Juste provisoire ou bien..?"

"Bah pour l'instant mais ils ont pas encore décidé visiblement... Peut-être qu'il sera viré pour de bon... Tout ça pour ce Takahashi! Tu crois qu'ils sortaient ensemble? Ca m'étonnerait. Takahashi était avec cette bombasse rousse qui a disparu dans la nature elle aussi... Il l'a peut-être rejointe? Sérieux je sais pas ce qu'elle avait pour lui, c'était un ahuri ce type... Si tu regardes bien tout ce qu'il savait faire c'était draguer, suffit de voir comment il se fringuait pour comprendre la profondeur du type quoi..."

"Tu le connaissais?"

"Nan mais c'est évident..."

... ....... Le nez d'Ayame se pinça. Ca évitait la moutarde d'en sortir... Mais c'était tout pareil en fait. Redevenue aussi mal lunée qu'en temps normal, elle fit craquer ses phalanges sans quitter les deux types du regard...

"Excusez moi professeur, je reviens......."

Avant qu'il n'ait pu protester, elle se leva, pour sans attendre se diriger vers la table fautive. Les deux types la remarquèrent et pâlirent. Suffisait de voir sa tronche pour prendre peur, et vu qu'elle venait de pourrir la réputation de Kenji en envoyant du personnel de l'université à l'hôpital... d'autant plus. Et ça commença fort. Elle envoya un coup de pied dans leur table, laquelle se renversa dans un fracas violent. Les verres se cassèrent, leur contenu se renversa, et les types crièrent, tandis que le personnel du bar se mettait à paniquer.

"Je peux savoir de QUI est-ce que vous êtes en train de parler exactement? Non allez-y continuez ça m'intéresse..."

Woops là... Elle était vénère ce coup-ci. Ses yeux envoyaient des éclairs bleu-vert comme jamais...

Arf, Ryu était désolé d'entendre Kenji lui dire que même du côté de l'ange, c'était l'impasse. Sûr qu'un ange et un démon, c'est pas fait pour être amis, mais il y aurait pu y'avoir un quelconque espoir. Même pas. Se sentant triste pour Kenji, Ryûichirô se vengea sur son chocolat, qu'il diminua de moitié.

Puis la conversation s'orienta vers Kureno Takahashi, qui avait disparu depuis quelques temps. Ryu avait tilté à son prénom, et demanda confirmation à Kenji, qui lui en parla donc un peu. Et qui lui parla également de sa relation avec Angra. Et bien, c'était compliqué en effet, et Ryu se félicitait intérieurement d'avoir pu suivre jusque là.

" Soit plus indulgent envers toi-même, ce sera peut-être plus facile. Trop s'occuper de son passé revient à nier son présent. Et puis... à force de regarder en arrière, on ne sait pas où on va. Même si, encore une fois, je te comprend. C'est évident que tu ne peux pas oublier Kureno-kun si facilement. "

Sur ces mots, Ryu tenta un sourire et finit son chocolat. Il espérait vraiment être utile à Kenji, au moins en tant qu'oreille attentive, et ce même s'il lui avait dit ce qu'il savait déjà. Tiens au fait, en parlant d'oreilles, ses oreilles à lui étaient tellement attentives qu'il ne perdit pas une miette de la conversation qui se déroulait un peu plus loin. En espérant que Kenji n'allait pas s'énerver...

Perdu. Il s'était déjà levé, avant même que Ryu ne put l'en dissuader, et était allé voir le groupe d'étudiants pour... renverser leur table. C'était pas très diplomatique tout ça. Bien qu'il essayait encore de le cacher, Ryûichirô avait peur. Oh non, pas pour lui, mais plutôt pour les étudiants médisants et pour Kenji. S'il se mettait dans des états pas possibles, il serait encore plus désemparé après coup. Il ne faisait pas du mal qu'aux autres, mais à lui également, et c'était ça que Ryu trouvait le plus triste. Pas une seule seconde le Chinois n'a pensé à fuir pour sa propre sécurité.
Au contraire, il se leva et approcha de Kenji, ni trop rapidement, ni trop lentement. Pour ne pas le surprendre - on sait jamais - il lui lança:

" Kenji-kun... Je t'en prie reste calme... pour les raisons que tu sais... "

Ouais en gros: évite de péter un câble sous peine de faire exploser le bâtiment et tous ceux qui sont dedans. Et de te retrouver juste après en train de chialer parce que 'oh mon dieu je sais pas ce qui m'a pris' ... Ryu soupira, et fit encore quelques pas vers Kenji, jusqu'à pouvoir poser une main sur son épaule.

" On ferait mieux d'y aller, non ? "

Ryu tentait de camoufler son tremblement, mais ce dernier se faisait de plus en plus grand, jusqu'à contaminer la pauvre main qu'il avait posé sur Kenji. Oups.

Oublier Kureno? Oui non ça c'était impossible... Et en plus elle ne se le serait jamais permis. Elle avait le devoir de le chercher, de savoir ce qu'il en était vraiment... C'était pas le passé ça. C'était le présent: elle ne pouvait pas l'abandonner alors que, quelque part, elle ne savait trop où, il avait peut-être encore besoin de son aide.

"Je ne regarde pas en arrière professeur... J'essaie juste d'envisager l'avenir. Il y a trois personnes qui le peuplent et l'une d'elles est peut-être en détresse. Même si nous ne sommes plus ensemble il reste mon meilleur ami. Je ne peux pas l'ignorer. Kureno ne fait pas partie du passé. Pas pour l'instant."

Si elle ne trouvait rien, elle allait devoir finir par lâcher prise, et tenter de passer à autre chose. Mais avant d'avoir essayé, c'était simplement hors de question. Sa main se referma sur le pendentif qu'elle portait autour du cou. Sa présence lui donnait l'impression qu'elle était plus proche de toucher au but qu'on aurait pu le penser... Bref. Cette discussion aurait pu nettement mieux tourner... Si par malheur quelques abrutis n'avaient pas peuplé le bar, et ne s'étaient pas mis un peu trop près de la table de Wang et Ayame, laquelle avait pété les plombs à les entendre dire de la merde sur Kureno. Elle avait laissé sa clope trôner sur la table, et sans prévenir, s'était levée, pour agresser cette bande de dégénérés, comme ils le méritaient...

La table renversée, le personnel qui appelait les flics comprenant que d'essayer de l'arrêter eux-même n'allaient pas le faire, et les types qui eux par contre semblaient être plutôt stupides qui se levaient de leur chaise, et lui faisaient face, pour se plaindre bien entendu.

"Non mais t'es complètement marteau?! C'est toi qui va payer les dégâts occasionnés je te préviens, et tu me dois un cocktail Kobayashi!"

"... Tu rêves connard... Je te dois un pain dans la gueule et c'est tout ce que tu récolteras aujourd'hui!! Quoique, je suis pas sûr encore... T'auras peut-être droit à quelques suppléments... Et tu vas retirer ce que t'as dit au sujet de Takahashi-san sinon je te préviens tout de suite: ça sera plus des suppléments auxquels tu auras droit, mais une tournée pour toi tout seul!"

Tendue, Ayame sursauta presque alors que Wang s'adressait à elle. Elle l'avait pas vu arriver pour tout dire. Elle se tourna vers lui vivement, l'air toujours aussi féroce: on aurait dit qu'elle allait le bouffer. Un instant, elle hésita. Les paroles de Wang avaient porté, et frappé là où ça faisait mal. Un voile d'hésitation passa sur ses yeux, alors même que la colère quittait son visage... Pour les raisons qu'elle savait il fallait qu'elle se modère? Oui... C'était pas faux. Elle était déjà allée en taule une fois pour meurtre, et seul Angra avait été capable de modifier les mémoires d'à peu près tout le monde pour qu'elle puisse continuer d'avoir une vie humaine à peu près normale. Recommencer alors que Wang était là en plus serait......... .. C'était sans compter la connerie de certaines personnes. Si le plus silencieux des deux types s'était déjà barré, l'autre restait, sans doute rendu un peu trop téméraire par le fait... Qu'il fasse partie de ses (vagues) connaissances.

"Je savais bien que t'agissais bizarrement la dernière fois qu'on est sorti quand t'as ramassé la rouquine là..., mais ça s'est confirmé avec cette histoire de Takahashi! Qu'est-ce qui te plait pas hein? Vous étiez potes? C'est pas ma faute si ce type était une lavette et un looser!"

Il la provoquait. Mauvaise idée. L'expression d'Ayame changea du tout au tout, en moins d'un quart de seconde. Elle devint dure, et opaque. La rage était de retour... Et la main tremblante du prof sur son épaule l'exaspérait. Soudain, ses pupilles se fendirent, et restèrent cette fois-ci dans leur plus inquiétante forme féline. Du bras, elle repoussa violemment la main de Wang, avant de l'attraper par la gorge, et de manquer de l'étrangler, alors que ses doigts se resserraient contre sa trachée.

"Occupez vous de ce qui vous regarde professeur... Ce sont MES affaires, et vous n'avez pas à interférer! Pourquoi devrais-je me calmer hein? Vous voulez enfermer le vilain démon dans une cage peut-être aussi?! Ca sera moins dangereux!! Partez... Votre condescendance me dégoûte!!"

C'était là des choses qu'elle ne pensait pas. Elle n'avait pas réfléchi. Elle n'était déjà plus dans son état normal, ainsi qu'en attestait son regard, ainsi que le ton de sa voix, devenu légèrement plus rauque, plus sauvage. La colère la brûlait de l'intérieur, et à ce rythme ça allait pas tarder à ne pas être qu'interne... Elle eut tout de même la bonne idée de relâcher Wang, non sans le repousser violemment sans tenir compte de l'atterrissage. Bizarrement, l'autre type faisait une drôle de gueule et ne disait plus rien. Il la regardait dans les yeux. Elle ne le prit pas en pitié... Son poing partit, et il se le prit dans la mâchoire bien comme il fallait. Une chance pour lui si elle ne le lui avait pas déboitée. Comme il tenait encore debout, elle leva vivement un pied. Le coup atteignit exactement le même point, et cette fois le gars s'étala par terre, dans un cri plutôt explicite quant à la violence du coup.

" 'es... cinglé... 'obayash...qu'est-ce que 'u e...?"

Entre deux halètements, effrayé, le gars avait essayé de dire quelque chose. Il n'avait pas eu le temps de finir: Ayame venait de lui écraser la tronche à coup de semelle, et de lui casser le nez bien comme il faut, traitement qu'elle ne réservait en général qu'aux gars des rues qui l'avaient vraiment énervée, par exemple en essayant de la racketter...

"Tu... me fais chier. Tu n'es qu'une ordure, un déchet... Une erreur de la nature... Ce que tu as dis au sujet de Kureno... Tu ne devrais même pas être autorisé à prononcer son nom... Lorsque tu souilles le nom de mes vassaux, c'est moi que tu insultes... espèce de sous-merde... Tu ne mérites même pas que je m'intéresse à ton corps... Tu ne mérites que de crever..."

Un sourire inquiétant était en train d'éclore sur ses lèvres... Vraiment inquiétant. Il fut bientôt suivi d'un ricanement sévèrement vicieux. Sans même s'en rendre compte elle arrivait à sa limite, vite atteinte faute à cet énervement soudain qu'elle n'avait pas su doser. En étant attentif, on aurait pu remarquer ses ongles naturellement noirs, au bout desquels quelques filets de fumée s'échappaient.

Ryu avait la sensation rare d'avoir dit quelque chose de trop. Il ne s'en fit pas vraiment outre-mesure, mais espérait surtout ne pas avoir blessé Kenji. Apparemment, non... ça allait encore. Ce dernier rectifia simplement les paroles du professeur, qui acquiesca en silence. Décidément, c'était un cruel destin que celui de Kenji.

La discussion commençait lentement à s'essouffler, ou à défaut, de devenir péniblement déprimante, quand un groupe d'étudiants non loin eurent la très mauvaise idée de casser du sucre sur le dos de Kenji et Kureno. Arf... Avant même que Ryu n'ait pu le retenir, le démon était parti les voir, bien décidé à leur apprendre les bonnes manières. Encore fallait-il qu'il les connaisse lui-même, les bonnes manières, ce dont Ryu doutait, à juste titre.

Il se leva, et tenta d'arrêter Kenji, ayant plus peur pour les autres que pour lui-même. Là, il avait tort le Chinois. Pour une fois... Derrière Kenji, ce dernier faisait signe à l'étudiant têtu de se la fermer sous peine de se faire casser la gueule par Kenji, mais il fit comme s'il n'avait rien vu et continua. Dans l'impasse, Ryu tenta directement de calmer Kenji, ce qui fut une très mauvaise idée pour lui.

Avant même qu'il puisse se rendre compte de ce qu'il s'était passé, il sentit des doigts contre son cou, le serrant encore et encore. C'était pas la première fois qu'il avait affaire avec des trucs pas humains et pas très accueillants, mais ça voulait pas dire qu'il aimait ça. Ses yeux se fermèrent sous la douleur, et quelques larmes perlèrent. Ouais il avait la trouille, c'était évident, et pour lui cette fois. Quoiqu'un peu trop tard. Pourtant, il avait eu l'impression que ses paroles avaient eu un effet positif, si seulement l'autre débile n'en avait pas rajouté une couche !

Et voilà comment on pouvait voir un Ryu voler en poussant un joli cri de fillette. Faut dire qu'il était léger et facile à envoyer, mais comme il n'était pas en mousse, l'atterrissage ne se fit pas sans dégâts. Kenji l'avait envoyé valdinguer contre une table, et sa tête percuta de plein fouet le rebord de cette dernière. Ryu tenta bien de se protéger, par réflexe, en mettant un bras devant lui, mais non seulement la vitesse à laquelle on l'avait envoyé était trop grande pour réellement parer les coups, mais en plus son bras n'eut pas le temps de lui couvrir le visage. Résultats des courses, double fracture de l'avant bras droit, et le visage en sang. L'arcade droite n'avait pas résisté au choc, pas plus que le côté droit de son crâne. (schéma)

Lamentablement rétamé à terre, Ryu ne pouvait que chialer et réclamer la clémence de Kenji à force de 'yameteeeee'... Franchement, on l'avait vu plus classe, le prof de Chinois, mais bon. C'était pas sa faute. En même temps, il était tellement gentil que ça pouvait jamais être de sa faute.

Son bras lui lançait, impossible de le bouger et sa tête se faisait lourde. Encore un peu et il serait tombé en syncope, mais il avait réussi à rester conscient. Hmm... tout compte fait, il se demandait si c'était pas mieux s'il était tombé dans les pommes. Il avait pas vraiment envie d'assister à la suite des évènements.

" Kenji-kun... Stop... Arrête... "

Disait-il entre ses cris de douleurs et ses larmes. En le voyant, lui et l'autre étudiant dont Kenji finissait le ravalement de façade, le personnel du bar appelèrent également des secours. Enfin si ça continuait, c'était plutôt la morgue qu'il faudrait appeler. Et le pire, c'était que Ryu trouvait cette remarque plutôt optimiste vu ce qu'il savait de Kenji. Parce que oui, dans le pire des cas, y'aurait pas de corps à mettre à la morgue. Ryu avait beau être à moitié dans les vapes, il avait bien remarqué le changement. C'était plus Kenji qui était dans la salle, c'était quelque chose de bien pire.

Malheureusement pour tout le monde, Ayame n'était absolument plus en état d'écouter les conseils de Wang, aussi avisés furent-ils. Elle était habituée à avoir un peu plus de self-control que ça, malgré sa tendance inégalée à s'énerver et à frapper pour un rien... Du coup elle n'avait absolument rien vu venir. Impossible de se contenir. Impossible maintenant de revenir en arrière... Son esprit mutait tous les quarts de seconde. La seule chose qui pourrait encore sauver la situation serait la chance. Et à voir comment Wang avait fini - à moitié assommé, estropié, agonisant par terre - la chance n'était pas de leur côté. Mieux valait éviter de réunir deux êtres dont le "Destin" avait tendance à être sadique. Ca pouvait vraiment mal tourner....

Tss... Franchement. Quel gâchis pour lui d'être ici, dans ces vêtements banals, à tenir des propos ridicules avec un prof de chinois insignifiant auquel en tant qu'humain il s'était stupidement attaché... Ayame commençait vraiment à en avoir marre de cette situation. Il méritait plus que ça. Il méritait la Géhenne. Il méritait l'Hybris! Si seulement il avait pu récupérer ses ailes. Au lieu de quoi il passait son temps à végéter, et à tenter de retrouver ce traître qui lui avait fait plus de mal que de bien. Il se souvenait encore de son regard cyan, de ses cheveux noirs... Quoique. N'étaient-ils pas plutôt blancs? Kureno... Mais même si ce salopard l'avait trahi, de simples et bêtes humains n'avaient pas le droit de l'insulter. Et ils avaient encore moins le droit de se dresser contre lui... Qu'ils essaient seulement. Ils allaient comprendre leur infériorité, avant de crever comme les merdes qu'il étaient.

L'être de feu leva la main. Son sourire devenait plus dément, de secondes en secondes... Mauvais timing. Quelques téméraires trouvèrent le moment opportun pour tenter de l'arrêter. Ils lui sautèrent dessus, et essayèrent d'immobiliser ses jambes, et ses bras. Un hurlement de rage s'en suivit, et les courageux manquèrent bien de lâcher prise, effrayés par la folie évidente de la chose qu'ils tentaient de contenir. Ayame tenta de leur échapper par la force brute, mais il fallait se rendre à l'évidence: là n'était pas le meilleur moyen.

"Lâchez moi, espèce de macaques stupides... !! Allez tous crever comme l'intégralité de votre espèce, vous me pourrissez la vie... Je n'en peux plus de votre engeance et de votre condition!"

Sans eux, il n'aurait pas eu à devenir quelqu'un d'autre... Sans eux, il n'aurait pas perdu tout ce temps, et la Géhenne ne s'éloignerait pas de lui à grandes enjambées comme c'était le cas à l'heure actuelle... Ayame explosa littéralement, et sans prendre le temps d'ignifuger ses vêtements. Un brasier s'échappa de son corps, et envoya voler à plusieurs mètres les quelques fous qui avaient tenté de l'arrêter. Cris de terreur, d'incrédulité... Le démon, au bord de la folie, n'était pas prêt de s'arrêter. Contre sa peau, le feu coulait, comme un fluide agréable... Cette chaleur... Cette chaleur torride, jouissive..... L'adrénaline monta dans ses veines, alors même qu'il se faisait cette constatation: il en voulait plus. Et il en aurait plus, car ça ne faisait que commencer...

Son regard froid, dément, et malgré tout extrêmement hautain, se posa sur l'être qui à ses pieds était encore à peine conscient. Il tendit sa main, et éjecta ses flux sources et architectes pour les insérer dans le corps de l'étudiant par les oreilles, et les narines... Il était d'humeur sadique. Il injecta le feu via ses lianes d'énergie, et un fil brûlant passa soudain dans l'organe cérébral du jeune, lequel se tordit de douleur, et hurla, alors même qu'il était en train de cramer de l'intérieur. Impassible, Ayame l'observa mourir, jusqu'au bout. Autour de lui, un incendie se propageait, dont il était le centre. Des silhouettes en flammes hurlaient, couraient... Tss. Déplorable. Mais il lui suffisait dorénavant d'achever le travail qu'il venait d'effectuer. Ensuite, il partirait. Laisser vivants des témoins de cette scène serait atrocement gênant non, tant qu'il ne pouvait pas quitter ce monde..? La prison, une fois, lui avait suffi.

Il tendit les bras, et éjecta les cinq flux de chacune de ses mains lesquels s'entortillèrent pour former une liane unique, dirigeable à souhait. Ca serait amplement suffisant.... Le bout de la liane prit feu. Légère configuration des flux architectes de sa main droite... Les flammes prirent la forme d'un bec crochu, et tandis qu'il écartait les bras, se mirent à tourner autour de lui, visant chaque fois l'un des survivants de l'assemblée pour sans aucune pitié lui mettre feu. Il n'avait pas encore remarqué Wang, étalé par terre... Ceci dit il n'eut pas de chance - quoique. Une femme effrayée s'était cachée derrière la table contre laquelle il reposait. Le bout de la fourche de flammes s'élança et le chatouilla d'un peu trop près, puisque durant quelques seconde de trop elle happa le côté de son visage, englobant l'un de ses yeux... Derrière lui, la femme prit feu, et se releva en hurlant. Mais elle ne devait sans doute pas être la seule à crier.

Kenji passait vraiment en mode berserk, et c'était pas franchement beau à voir. Ryu se recula comme il le pouvait plus loin, mais la douleur dans son bras, et son crâne, sans compter son dos endolori, lui interdisait tout mouvement plus rapide ou plus ample. Il restait donc à moins de quelques mètres de Kenji, prêt à tuer le pauvre idiot devant lui. Ryu avait envie de vomir.

Heureusement, il n'avait pas encore perdu toute dignité en se pissant dessus, mais si ça continuait, ça ferait pas un pli: il allait mouiller le pantalon. Pas classe du tout, mais il était mort de trouille. Fallait dire aussi, qu'il était plus devant un simple humain, mais un démon en passe de tout faire péter. Rha, mais pourquoi un démon ? Pourquoi c'était pas un ange tout gentil et tout beau ? ... Et pourquoi fallait que ça tombe encore sur lui ? Ryu commençait à en avoir marre des bestiaux bizarres. Et encore, manquait plus que Takashi lui aussi se transforme en truc pas net, et là il pèterait vraiment un câble.

Voilà ce qui se déroulait dans le petit cerveau tout choqué du Chinois, alors que Samaël s'apprêtait à faire tout flamber. On se jeta sur lui, mais Ryu savait que c'était inutile. Tout l'effet que ça faisait à Samaël et ben c'était pas dans le bon sens. Ryûichirô poussa tout de même un autre cri - de fillette - quand le démon passa en mode boule de feu. Flippant.

Mais Ryu n'avait encore rien vu. Kenji commençait à faire flamber le mec devant lui en lui injectant du feu directement dans le corps. Le cri du pauvre humain qu'il était déclencha une réaction en chaîne, et bizarrement, le Chinois lui aussi se mit à hurler. Bien qu'en fait, il n'avait pas encore de raison valable.

Ca allait, Kenji était sympa, il allait lui donner une bonne raison de hurler maintenant. Même s'il ne l'avait pas vu, donner un coup de fouet enflammé en mode Balrog dans une femme cachée derrière Ryu - à laquelle il n'avait accordé aucune importance jusque là - n'était pas sans dommages pour le Chinois.

Son oeil droit chauffa, et puis plus rien. La douleur n'était pas instantanée, et Ryu ne tilta pas tout de suite. Et soudain, comme un retour de flammes, alors que la femme s'était déjà levée en hurlant, lui porta sa main à son oeil, sans le toucher les chairs à vif, cela dit, mais pour les protéger d'on-ne-sait-quoi-d'autre. Style. En plus, forcément, c'était sa main gauche vu que son bras ne voulait plus bouger, ce qui non seulement n'était pas pratique, mais ne le rendait pas non plus beaucoup plus classe. Son oeil gauche, heureusement, n'avait rien, et il était encore capable de voir. Si seulement son oeil était ouvert. Et ouais, il était fermé, trop occupé à chialer.

Pour Ryûichirô et son oeil droit, VDM.

VDM, peut-être... Mais les doux cris de Wang, ainsi que son oeil cramé donc, eurent le don de la lui sauver, sa VDM, ce qui n'était déjà pas si mal. Car si quelqu'un ou quelque chose, parvint à calmer la folie d'un(e) Ayame bien lancé(e) en mode Samaël, ce fut sans doute ce cri qui n'en finissait plus, qui finit par l'atteindre, et lui vriller le cerveau comme les entrailles. Une espèce de bruit entre le grognement et le hoquet échappa à la créature, laquelle s'arrêta de bouger soudainement. Quelque chose... N'allait pas. Mais quoi. Qu... Que... Elle... Que faisait-elle?

Ses pupilles gardèrent un instant leur forme allongée... Pourtant, d'une traite, en réaction aux hurlements de Wang, Ayame avait retrouvé son état de conscience "normal". Il y eut un long instant de silence... relatif. Le crochet de feu s'immobilisa... Quelques secondes plus tard, il redescendit au sol tandis qu'Ayame laissait ses bras retomber... Son cerveau ne répondait plus. Elle était absente... Quelque part, c'était comme si elle avait préféré se couper de la réalité plutôt que de prendre conscience, intégralement, de ce qu'elle venait de faire.

"........................................."

Autour d'elle, des gens criaient... Le feu baignait la pièce, des corps recroquevillés s'écrasaient au sol, complètement carbonisés... C'était... horrible. D'autant qu'elle avait souvenir de tous les détails... La manière dont elle avait voulu tous les éliminer... La manière dont elle avait achevé ce pauvre type...

"... J... Non... J'en ai marre... Je veux pas de ça... Je voulais juste.........."

Les larmes lui montaient aux yeux... Elle avait juste voulu faire en sorte que l'honneur de Kureno soit sauf... Elle n'avait jamais souhaité un tel massacre, comment cela avait-il pu arriver..? Si rapidement..? Elle n'avait même rien vu arriver..? Etait-elle... vraiment incontrôlable? Elle se souvenait de sa rencontre avec ce type, chasseur de démons qui avait tenté de la tuer... Peut-être en effet ne pouvait-elle pas se permettre de continuer à vivre dans ce monde... Elle était trop dangereuse... Sa présence même impliquait en puissance des catastrophes incommensurables...

Ses jambes cédèrent, sous le poids de son corps désormais nu - détail pas tout à fait insignifiant dans de telles circonstances, puisque ses vêtements avaient brûlé avec le brasier dans lequel elle avait baigné la pièce. Elle tremblait de tous les bouts, et bientôt, ses mains devinrent incontrôlables... Il fallait... Que ça s'arrête... Si il y avait encore des survivants, qu'importaient les autorités... Elle ne pouvait pas laisser ça comme ça... Dans un dernier sursaut de raison elle se décida à éteindre le brasier: Elle rappela à elle toutes les flammes de la pièce via ses flux. Les flammes se changèrent en énergie pure, qu'elle réabsorba directement, manquant de succomber au plaisir malsain qui monta, détestable, le long de son échine. Le froid... les cris... Tout était horrible. Son regard écarquillé n'osait plus quitter le sol... Ses lèvres ne parvenaient plus à former des mots, s'entrechoquant sans parvenir à retrouver le moyen de se synchroniser. Wang... Elle l'avait entendu crier... Elle.. Pourtant elle ne l'avait pas? L'avait-elle blessé? Ses flammes l'auraient-elles atteint par accident tandis que..? Tremblante, elle fit l'effort d'élever la voix:

"P... Pro...fes...seu...r...?"

Paniquée, elle releva la tête. La vue des corps lui était insupportable... Le cri... Doù venait ce cri qu'elle reconnaissait.. Où était-il? Après avoir réussi à distinguer la direction de laquelle venait les hurlements, elle se tourna dans cette dernière, craintive... A raison. Elle parvint bientôt à trouver Wang, pour constater qu'alors même qu'elle n'avait rien tenté sur lui, il en était parvenu à être malgré tout gravement amoché. Son teint se fit cireux. Ses pupilles s'étrécirent plus encore si c'était possible, et avant même de s'en rendre compte, elle leva une main sur sa tête,et la crispa contre sa chevelure, horrifiée.

Le hurlement qui voulait s'échapper de sa gorge restait coincé... Par contre elle ne cessait de reculer, sans même s'en rendre compte, effrayé par cette triste réalité... Accablée par les conséquences plus que néfaste de son comportement irresponsable. Aurait-elle été un peu plus consciente qu'elle se serait rendue compte que le plus important était de trouver des secours pour les rescapés... Mais là, elle était au dehors de toute considération pratique. De toutes les manières les secours allaient arriver. Et la police, aussi. Elle aurait juste voulu crever...

"Que quelqu'un me tue... Ca ne peut pas continuer... Ca ne peut pas..."

L'aurait-elle pu elle-même qu'elle l'aurait fait sur le champ... Mais autour d'elle, il n'y avait aucun objet contondant. Et ses jambes ne répondaient plus à l'appel. Elle heurta le mur... Moment où elle perdit l'intégralité du self-control qui lui restait. Cette fois-ci, elle hurla... Et si fort qu'elle aura bien réussir à prévenir tout le quartier. Elle se recroquevilla sur elle-même, plongea son visage dans ses mains... Puis plus rien. Ses pensées se mélangeaient sans aucune cohérence, son cerveau entrait en surchauffe... Plus rien ne l'atteignait. Seuls des gémissements d'horreur glissaient entre ses dents serrées.

Ryu avait l'impression que le bordel à l'extérieur - oui parce qu'il était bien tranquillement reclus dans son moi intérieur - s'était calmé. Y'avait déjà moins de bruit, même si les hurlements, dont les siens, perduraient. Kenji, quant à lui, semblait inactif. Il était parti ? Prenant son courage à deux mains, Ryûichirô ouvrit un oeil, le seul viable, et le chercha du regard. Ah bah bravo. Kenji était en train de presque pleurer. C'était ce que redoutait le plus le Chinois.

Il tenta de se redresser, mais c'était un peu trop dur pour lui. Il prit appui sur sa main gauche, et un courant d'air vint lui rappeler que la moitié de son visage n'était plus qu'une masse de chair fondue. Son poing gauche se serra, ses articulations devenant blanches.

" Kenji-kun... "

Mais la voix de Ryu était trop faible pour être entendue de Kenji. Maintenant que l'autre était parti, enfin Samaël, Ryu n'avait plus aussi peur de parler à Kenji. Bien sûr, il avait toujours peur, c'était un trouillard chronique, mais il se forçait à reprendre un peu de contenance. Et surtout, il ne voulait pas que Kenji, se sentant seul, ne fasse place nette à cette chose qui était en lui, et qui avait tout crâmé autour de lui.
C'est à ce moment que le pauvre Kenji appela Ryu, qui lutta pour ne pas hurler à nouveau, et se mit péniblement sur ses genoux, histoire d'être un peu plus haut. Debout ? Non, il ne pouvait pas, il ne tiendrait pas sur ses jambes.

" Kenji-kun... "

Cette fois il avait du entendre. Et il vit le professeur, à moitié dans le gaz, l'oeil droit noyé dans la chair sanguinolente. La réaction de Kenji ne se fit pas attendre, mais choqua Ryu, qui leva sa main viable, comme pour consoler le pauvre garçon. Après tout ce n'était pas sa faute s'il perdait le contrôle...

" Hé... ça va aller... tout le monde... a le droit... de vivre... "

Et c'est alors que, pendant que Kenji se tuait la voix en hurlant, à défaut de se tuer lui-même, Ryu se mit à sourire. C'est ainsi que les trouvèrent les secours. Il y avait peu d'autres survivants, et ils étaient déjà tous dehors. La plupart des blessés légers ayant réussi à se sauver. Enfin la plupart... ils étaient deux. A l'intérieur, y'avait que des cadavres. Un deux trois... quatre... jusqu'à neuf. Et un mec à poil hurlant. Et un borgne souriant. Y'avait vraiment un truc qui tournait pas rond ici...

Mais les secours, toujours professionnels, s'empressèrent d'aller voir Ryu pour voir s'il allait bien, et lui posèrent même la question. Quelqu'un d'autre aurait répondu avec hargne 'GENRE J'VAIS BIEN!' mais Ryu, toujours aussi zen, leur dit très calmement:

" Moi ? Ca va... "

Ouais juste un oeil en moins, un petit ravalement de façade, un bras cassé et du sang plein la gueule... Enfin, le traumatisme crânien ayant entraîné une hémorragie au cerveau, il ne tarda pas à tomber en syncope. Les ambulanciers le transportèrent directement à l'hôpital de la ville. Heureusement, Ryu avait sur lui ses papiers, et une heure plus tard, on put prévenir sa famille. Une famille qui allait bientôt se déplacer pour le voir, maintenant qu'il était dans un coma artificiel, mais dans un état stable et hors de danger.

Oui... La vision qu'avait eu Ayame de Wang, blessé, quasi assommé, le visage à moitié détruit par ses soins, avait provoqué en elle quelque chose de... limite pire encore que tout le reste. Les autres, les blessés, les morts, importaient moins, même si ce qu'elle avait fait était affreux. Blesser autrui lorsqu'elle ne connaissait pas les victimes ne l'avait jamais trop dérangée. C'était surtout la gravité des blessures, et le fait qu'elle n'ait absolument pas prévu cette hécatombe, qui la choquait. Mais dans le cas de Wang c'était différent. N'avait-ce pas déjà été dit? Ayame ne s'attachait qu'à très peu de personne, et la gentillesse de Wang, sa compréhension, l'avaient touchée droit au coeur, jusqu'à parvenir à éteindre ses penchants les plus violents. Elle s'était confiée à lui, elle qui préférait haïr le monde et lui cracher à la gueule aussi bien que le monde la haïssait, en règle générale. Wang faisait partie des gens desquels elle se souciait, même si il n'avait pas encore rejoint le trio de ses actuelles raisons de vivre, constitué de Kureno, d'Angra et d'Imako. A force de le fréquenter elle aurait presque pu faire l'amalgame avec le(s) père(s) qu'elle n'avait jamais eu - c'est qu'il aurait été content de se retrouver avec un grand rejeton de plusieurs milliers d'année qui crachait les flammes aussi bien qu'il assommait les gens à coup d'aerial kick. Et même comme ça... Elle l'avait blessé. Presque tué. De sa faute, sa vie allait basculer alors même qu'il avait réussi à trouver le bonheur. Tout ça de sa faute à elle... De la faute d'un putain de démon qui ne s'assumait ni se contrôlait. Plus ça allait, plus elle se détestait. Et elle ne comprenait même pas comment Wang pouvait continuer de la regarder avec une douceur telle que celle qu'il lui réservait, encore très clairement palpable malgré la moitié de son visage devenue telle un masque de chair brûlée. Elle hocha la tête de droite à gauche, hagarde. Comment pouvait-il continuer de lui servir ce discours après CA...? N'avait-il pas constaté l'horreur qu'elle cachait au fond de son coeur... Qu'elle masquait même d'elle-même? Samaël et elle n'étaient qu'un... Une unique entité, qui parfois changeait grandement d'avis sur sa façon de voir le monde. Elle n'avait pas le droit de vivre sur cette Terre, au milieu de ses proches humains... Elle allait finir par tous les blesser...

"Regardez ce que j'ai fait... Ils sont tous morts... J'ai même failli vous tuer... Je vous ai... Comment pouvez-vous m'inclure dans ce tout le monde a le droit de vivre alors que j'ai donné la mort dans le simple but de tuer? Professeur je suis trop dangereux... Détestez moi s'il vous plait... Et ne m'approchez plus jamais."

Elle finit par hurler. Ca avait pris du retard, mais tout ce temps c'était resté coincé au fond de sa gorge, malgré le fait qu'elle ait elle même eu l'impression de brûler de l'intérieur, tant cette horreur qu'elle ressentait demandait à sortir. C'est ainsi que les secours eurent l'occasion de tomber sur une assemblée de corps carbonisés à un degré tel qu'une explosion ou qu'un incendie normal n'auraient pas si bien fait en si peu de temps... et un mec à poil hurlant... et un borgne souriant... Sûr qu'ils devaient sévèrement se demander ce qu'il se passait. Bien sûr, les survivants étaient tous trop choqués pour expliquer à quiconque que l'origine de l'incendie, c'était-elle. En plus on aurait certainement cru qu'ils étaient en train de délirer, tant c'était crédible. On du la prendre pour une victime miraculée. Mais comme elle était encore celui de tous les "rescapés" qui présentaient le mieux, on la laissa un instant seule dans la pièce, le temps d'emmener Wang dans l'ambulance, et d'éviter qu'il ne clamse au passage. Elle était seule... Elle releva la tête. Le sentiment qu'elle avait était indescriptible. Pour la première fois depuis longtemps, elle ressentait à quel point elle n'était pas humaine.

Nue, prostrée sur elle-même, en seule compagnie de sa respiration rendue difficile par la panique comme par les pleurs, elle se sentait comme une bête sauvage traquée... Comme un animal féroce qui s'était sauvé d'un zoo, et qu'on ne pouvait pas laisser courir dans la nature. Sa tête s'appuya contre le mur derrière... Elle observait le plafond qui l'empêchait de voir le ciel. Pourquoi Dieu s'acharnait-il sur elle..? Cette question avait toujours été sans réponse. Même quand elle portait encore un masque pour cacher ses traits et son existence... Même quand son non-droit de vivre la forçait à consommer des âmes pour parvenir à faire semblant d' "Être"... Si ce n'est que "c'était la faute à Lucifer", elle n'avait jamais eu droit à de décentes explications... Des pas... les secours revenaient? La sirène de police retentissait... Elle se serait presque laissée attrapée... Elle ne voulait pas fuir. A quoi bon? Ceci dit, l'idée d'un second massacre lui vint à l'esprit, et ses yeux s'écarquillèrent à nouveau, alors qu'elle se mettait à trembler... Elle... Ne pouvait pas rester avec des humains... Ca risquait encore de mal finir... Elle ne voulait plus de ce genre e catastrophes... Il fallait qu'elle parte... Qu'elle se sauve, loin...

Mue par une sorte d'amas incohérent de pensées, mélangées avant tout à de l'instinct - même si elle ne savait pas trop d'où il lui venait - elle se releva. Elle était chancelante... Pâle comme la mort, et son regard couvait une lueur à la fois vide et démente. Elle longea le mur, à la recherche d'une issue. Elle n'entendait décidément plus que sa respiration.

Elle trouva bientôt l'arrière boutique, et s'y faufila. Une bâche couvrait quelques caisses... Elle l'arracha pour se la mettre sur le dos: dehors, à poil, ça ne la gênait limite pas... Mais on aurait eu tôt fait de la remarquer et de l'arrêter. Elle ne savait plus ce qu'elle faisait... Elle brûla la porte qui donnait sur l'extérieur, et la défonça, sans aucune mesure. Puis elle se mit à courir dans les rues, comme une dératée, évitant tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une présence humaine... Elle ne pouvait que rejoindre... La villa. Angra. La seule personne à sa connaissance qui pouvait contenir sa folie, quitte à utiliser la force. La seule demeure en ce monde qui souffrirait d'accueillir la créature abjecte qu'elle était. Les larmes s'échappaient seules de ses yeux, et les gens se retournaient sur son passage, levant un sourcil étonné face à cette espèce de machin qui complètement cinglé parcourait les rues emmitouflé dans une bâche... Rien à foutre. Il fallait juste qu'elle atteigne la villa... Et qu'elle aille s'isoler. Pour de bon.