Un débarquement singulier

Alors que l'anterversien tout feu tout flamme allait s'élancer sur Kuanshar, afin de l'entraîner lui aussi dans l'enfer brûlant, celui s'écarta d'un bond souple. Liff releva un instant ses yeux froids , ceux du jeune homme changeant subitement de couleur. Il sembla à l'homme qu'il usait d'un autre pouvoir. La cervelle explosée de l'agresseur vient rapidement confirmer cette impression. Son corps s'effondra sur le sol, désormais flasque et sans vie. En même temps, qui aurait pu survivre à ces diverses attaques combinées? Sûrement pas leur agresseur, qui ne semblait pas disposer de beaucoup de ressources. Ou plutôt il n'avait pas eu l'occasion de faire usage de ses pouvoirs.

Rapidement, Kuanshar quitta son perchoir après avoir laissé échappé un soupir las. Il rejoignit Liff, d'un air intéressé quoiqu'un peu troublé. Après tout, il était plutôt rare de voir quelqu'un exécuter de tels tours de magies, divins et surtout mortels. Cela avait de quoi effrayer plus d'un solide gaillard pourtant, mais Kuanshar ayant lui même des dons, il n'était pas réellement inquiet, plus intéressé peut être.

"Joli travail... Quand tout ça sera terminé, je pense que j'aurai définitivement à vous parler, si vous n'y voyez pas d'inconvénient..."

A ces mots, Liff ne répondit rien. Ses lèvres s'étaient closes sur ces derniers mots animés d'un pouvoir étrange. Il ne lui renvoya qu'un regard lisse, semblable à un miroir où seul Kuanshar se reflétait.
Cela faisait tellement longtemps...
Si longtemps qu'il ne s'était pas servi de tels pouvoirs. Stupidement, il avait pensé...Mais ce genre de chose était ad vitam eternam gravée dans sa mémoire. Il y avait peu de chance qu'il oublie, quoi qu'il fasse, quoi qu'il se passe. Liff, nota confusément le sourire roublard, délicieusement rusé et un peu sournois de son vis à vis, peu présent. Son regard à lui semblait s'être perdu très loin d'ici, ailleurs...Cela dit, à la remarque du roux, il releva la tête vers le ciel, déroulant son cou, et fronça ses sombres sourcils, revenant à ce qui les occupait précédemment.

Ah oui. Le gmork.

Le soleil semblait se couvrir d'un voile sombre, portant peut être le deuil, car a mort c'était certain, était bien invité à cette scène macabre, où ils ne connaissaient pas encore leurs rôles.
Le ciel présentait désormais un astre presque noir, pareil à une éclipse. Il doutait que cela passe inaperçu auprès des habitants d'Hokubu, ou du moins des élèves de l'université. Bien que l'après-midi soit entamé, cela n'empêchait pas qu'il puisse y avoir des élèves qui aient encore cours, ou qui traînent dans le parc. En tant que professeur, Liff se devait de veiller à leur sécurité...Bon par contre il aurait du mal à faire passer tout ceci comme le fait d'un évènement naturel quelconque. Quant au corps qui avait à présent trouvé le repos sur le toit du bâtiment, il faudrait sans doute s'en débarrasser. Liff doutait qu'il disparaisse comme par enchantement, même si ça les aurait bien arrangé.

"Préparez vous... Le plat de résistance arrive..."

Le loup bientôt serait sur eux, tout crocs dehors probablement.
Liff attendait tranquillement la tempête qui menaçait. Son regard vert avait prit une teinte plus sombre, comme si l'orage se levait sur l'eau calme de ses yeux. Quel que soit la démonstration que leur réservait le gmork, il l'attendait de pied ferme. D'ailleurs il se tenait près, le carnet à la main, droit et froid, tel une sculpture antique de marbre peint.
Une chose était certaine: il ne comptait pas le laisser faire. Ni le laisser blesser qui que ce soit, Kuanshar y comprit, bien que ce dernier soit tout à fait apte à se défendre, en toute logique;

Kuanshar avait relevé l'absence de réaction de Liff qui avait suivi sa "presque proposition". Bon... Il avait interprété ça comme étant mauvais signe - l'engouement habituel de cet individu ne semblait pas fonctionner lorsqu'il s'agissait de s'engager à combattre - mais il ne perdait pas espoir. Très loin de là... Kuanshar avait des arguments en béton. Et si Liff tenait à cette planète, vu que les gmorks ne mettraient vraisemblablement que peu de temps à la trouver, sans doute en vue de l'envahir... eh bien il avait tout intérêt à ce que une résistance dense se forme, pour protéger cette Terre, planète inconnue, tout autant que pour reconquérir Anteversus.

Mais le soleil "s'éteignait" et le gmork arrivait. Il n'était pas question de réfléchir à tout cela tant que la situation ne serait pas revenue à la normale. Il était proche... Et il était furieux... Tellement furieux qu'il en oubliait de réfléchir vraisemblablement, vu comme il fonçait dans un combat qui ne serait pas à son avantage malgré la nuit subitement tombée. Il n'avait pas assez oublié de réfléchir pour ne pas tenter de les terrasser avant même d'arriver sur place, en usant de ses capacités d'absorption d'énergie, par contre.

Une coulée froide s'insinua de façon pernicieuse dans la nuque de Kuanshar, qui frissonna violemment. Ses yeux perdaient leur teinte, et son expression soudain devenue atone voulait tout dire. Le froid l'emplissait, jusqu'à geler son coeur... Mais il connaissait ce sentiment. Il ne connaissait tout ça que trop bien. Il ne se laisserait plus manipuler, et il ne tomberait plus à genoux, malgré cette tristesse, ce désespoir qui lui donnaient envie de tout laisser tomber, et de se laisser tuer... Après tout, avec sa mort, la souffrance partirait... Non? Il mourrait comme il aurait du le faire depuis si longtemps, retournant auprès de Jaylhu, d'Aishkhat, et de ce fils qu'il avait étouffé dans l'œuf... C'était là ce que tentait de lui ancrer le gmork dans le cerveau. Mais si Kuanshar avait survécu ce n'était pas pour rien... Il devait vivre pour tous ceux qui restaient à sauver. Il était condamné à vivre et à tenir le coup. Alors, il recula de quelques pas, et sortit de nouveau sa dague, conscient que face au loup géant qu'était le gmork, il faisait mieux de pouvoir se protéger de potentiels coups de pattes et coups de dents dévastateurs... Le sort purificateur que lui avait lancé Liff était encore actif. C'était agréable... Grâce à ce sort, l'influence néfaste du gmork l'atteignait moins. Il ne sentait pas le néant bouillonner en lui, là où en temps normal il aurait été à la limite de perdre la raison. En parlant de Liff, il tourna les yeux sur lui. Comment se débrouillait-il? Le pouvoir néfaste du gmork l'atteignait-il ou bien résistait-il aussi à cela?

Tant de questions dont Kuanshar ne pourrait avoir la réponse immédiatement. Un boucan infernal retentit. Les pattes du gmork contre l'escalier... Puis une masse gigantesque de poils noirs aux reflets verts qui bondissait, et cachait ce qu'il restait de soleil, avant d'atterrir à l'autre bout du toit. Le gmork tempêtait, soufflait, crachait, totalement hors de lui. Il se retourna d'un coup. Ses poils se dressaient sur son échine et sa voix gronda comme le tonnerre, tandis qu'il s'exprimait dans la langue du pays du soleil levant, de sorte à ce que Liff puisse aussi comprendre ce qu'il se racontait.

"Petit prétentieux! Tu élimines les tiens sans ciller maintenant? Un traître ne se refait pas j'imagine! Tout comme cet idiot qui..."

Un hurlement. Ca, c'était Kuanshar qui n'avait certainement pas attendu que la créature cesse de monologuer... ça non. Pour tout dire, son expression s'était assombrie jusqu'à ce que l'anteversien paraisse renfrogné. Il n'avait que très peu apprécié être comparé à un traître pour tout dire, car les deux "traîtres" qu'il connaissait - l'un, l'usurpateur, et l'autre Vehnmiah - étaient les deux personnes qu'il haïssait le plus au monde. Alors, il avait fait "feu", et le gmork venait ainsi de perdre un œil... Ce qui n'avait pas l'air de lui plaire. Dans un grondement assourdissant, le loup noir se releva sur ses pattes arrières le temps d'une ruade. Ses pattes griffèrent le sol qui se fendit de rainures noires qui n'avaient rien de rassurant... C'était... Oui. Kuanshar avait déjà vu quelque chose de similaire. Ses pupilles s'étrécirent: il ne fallait absolument pas rester dans la zone que pointait les traces noires.

"ARRIÈRE, METTEZ VOUS A COUVERT, CE SONT DES LAMES!!"

Juste le temps de se jeter sur le côté et de se rattraper sur un genou... La lame de vide avait jeté sur lui un drap de vent, qui lui avait fait comprendre que ce n'était pas passé loin. Il se redressa et sans se ménager avisa de son prochain mouvement. Il était trop loin du gmork pour le brûler, dorénavant... Mais il fallait qu'il prenne garde en s'approchant de ne pas faciliter le travail à la créature. Avec ses 1m60 au garrot, le gmork le battait à plate couture, point de vue combat rapproché.

Non, Liff pour une fois n'était pas d'un enthousiasme débordant, mais il ne fallait pas qu'il s'attarde sur ses vielles pensées, qu'il traînait comme une nuée de mouches, une nuée obscure, froide et silencieuse. Il n'était pas encore temps. Voyant le loup monstrueux approcher, pareil à la monstrueuse bête décrite à travers la légende du Gévaudan, il raffermit sa volonté. Une violente bouffé d'air froid le menaçait, tout comme elle menaçait Kuanshar, sans aucun doute. Il senait quelque chose à l'intérieur de lui, tentant de remonter à la surface tout ce qui était noir en lui, ce qu'il avait accepté avec difficulté....
Ce qu'il acceptait encore avec difficulté, cette part de lui même qui ne demandait pourtant qu'à s'exprimer, bien que silencieuse d'ordinaire, mais tranchante telle une lame plongée dans des eaux gelées.

Il baissa un instant la tête, l'expression troublée. Que se passerait-il si il laissait tout sortir? non, il ne devait pas, il n'en éprouvait ni le besoin ni l'envie. Mais pour autant, le brun ne pouvait pas se laisser mourir. Si il se laisser aller, cela signifiait non pas la fin de sa vie, mais aussi la fin de toutes ces choses qui l'attendaient, qu'il aimait et qui l'aimaient en retour, d'un amour pur, dénué de toute volonté de l'avoir pour soit, de le faire sien, ni même de lui appartenir corps et âme. Juste l'aimer, simplement, pour ce qu'il était: le Semeur. Etait ce sa nature profonde, ou juste une part de son être, il ne le savait pas, mais toujours est-il que cela faisait partie de lui, et on ne pourrait pas lui arracher. Jamais. Liff Kyrka Horphase alias Le Semeur, le créateur, l'idole aux cheveux bruns, l'homme bienveillant ou la divinité inflexible, peut être? Toujours est-il qu'il se reprit, et rejeta loin de lui les pensées qui coulaient comme de l'encre noire au fond de son âme, tentant en vain de l'impregner d'une envie de déceder prestement qui ne lui correspondait pas.

"Petit prétentieux! Tu élimines les tiens sans ciller maintenant? Un traître ne se refait pas j'imagine! Tout comme cet idiot qui..."

Bien, maintenant Kuanshar était plongé dans une colère noire. Il avait sauté sur la bête, courageux et peut être téméraire, armé de sa dague. Déjà le sang coulait à flot de l'oeil de la bête, qui poussa un hurlement de rage. Mais c'était grâce au feu, étrangement. Liff créait à nouveau de ses doigts agiles une figurine de papier, qui cette fois-ci, s'étirait en longueur, toute semblable à une figure féminine.

"ARRIÈRE, METTEZ VOUS A COUVERT, CE SONT DES LAMES!!"

Il eut à peine le temps de bondir prestement, emportant avec lui sa figurine et roula plus loin sur le sol, évitant ainsi le danger. Par contre, sa besace à terre avec définitivement souffert, ainsi sans doute que son contenu.
Il pesta un instant, mais se reprit, prononçant quelques mots étranges et finissant sur une unique syllabe, qui résonna comme le tonnerre.

"Brûle petite flamme, grandis et dévore, envole toi aérienne et mortelle!"

Ce qui devait donner quelque chose comme ça en japonais, mais bien évidement ni Kuanshar ni le gmork ne comprenait l'obscur langage utilisé par Liff, qui en profita pour se relever. Pendant ce temps, la silhouette féminine s'était enflammée, et elle alla embrasser le gmork, profitant d'un instant d'inattention de sa part. On eut dit un iffrit au sourire charmant mais mortel, dont le corps de flamme dépassait largement celui de papier. Sa longue chevelure s'enroula vivement autour du cou de la bête et elle émit un rire qui jeta quelques étincelles.

Bien... Il fallait faire diversion. Kuanshar avait profité du fait que le gmork ait concentré son attention sur ce qu'était en train de faire Liff pour revenir à une distance qui lui permettrait d'attaquer efficacement, sans pour autant risquer de se prendre un coup de patte ou d'autre chose de tout aussi contondant. Il fallait faire attention. Les griffes de la bêtes lançaient des lames de vide invisibles... Mais rien ne lui disait que les dites griffes étaient les seules à en être capable. Entre autre, il lui fallait faire attention à la queue... Puis il avait peut-être d'autres pouvoirs gênants. Tandis que l'être de flamme créé par Liff s'enroulait autour de la créature, provoquant ses cris de douleur, Kuanshar décida d'en rajouter une couche. Optant pour une "loupe" plus large, il visa la zone dans laquelle se trouvait le gmork, qui commença alors à brûler de toute part... Déjà que son poil s'enflammait en présence du pantin incandescent. Il s'ébroua en hâte, complètement enragé. Son souffle était tempête, et sa présence, comme un orage fait bête. Il devait certainement comprendre qu'il était en mauvaise posture et son boucan enveloppant n'allait certainement pas intimider Kuanshar, qui en avait déjà vu d'autres.

D'un coup, un écran sombre se développa, entourant le gmork d'une bulle d'ombre, au travers laquelle la lumière perçait mal. Il cessait de brûler... Le feu ne parvenait à vivre bien longtemps dans cette coque ténébreuse, et ne le passait donc pas. Kuanshar jura tout haut... et ce n'était pas fini le pire! La créature se mettait à nouveau à griffer le sol, en tous sens. Des rainures noires se fichaient dans les dalles, et cette fois-ci il n'y allait pas de main morte... Il en avait disposé un peu tout autour de lui... Signe que l'esquive n'allait pas être évidente cette fois. Une montée d'adrénaline, tandis que la conscience du danger grimpait d'une traite en Kuanshar... Le seul endroit qui n'allait pas être exposé aux lames de vent semblait être... L'exact point où se trouvait le gmork. En espérant que Liff parviendrait lui aussi à trouver le moyen d'esquiver l'attaque, Kuanshar prit donc l'initiative, même si elle semblait un peu folle: Il devait lui rester une seconde grand maximum pour gagner la "forteresse" que s'était créé le gmork... Il fonça donc, à toute vitesse. Le gmork ne s'y était certainement pas attendu... Kuanshar passa au dessus des rainures noires au sol... Juste au moment où de ces dernières, le souffle tranchant s'échappait. Une vive douleur dans son mollet... Le bruit des vêtements et de la chair déchiquetés qui venait de retentir voulait tout dire: il venait de se faire entailler en beauté, même si ce n'était pas ça qui allait l'empêcher d'agir.

Il était maintenant... purement et simplement SOUS le gmork, qui n'avait pas l'air d'être ravi de cet état de fait, d'autant que Kuanshar était rentré dans sa carapace d'ombre. La bête leva une patte, prêt à envoyer Kuanshar balader à l'aide de cette dernière. Il ne fut pas assez vif: le regarde de l'anteversien était à nouveau redevenu presque blanc, et canalysant autant d'énergie qu'il le pouvait, il envoya une décharge de lumière presque électrique qui explosa dans le membre antérieur levé du gmork... Dit membre antérieur qui d'un coup ne fut plus qu'os, et que chair calcinée. Les os tombèrent au sol, et le gmork hurla. Parfait... Kuanshar qui ne s'était pas encore servi de sa dague décida d'en faire l'usage: d'un coup de bras rotatif il l'envoya trancher la gorge de la bête. Le gmork était devenu incapable de garder levée sa barrière d'ombre... Elle vacilla, avant de s'éteindre, laissant au pantin de Liff tout le loisir de brûler leur ennemi jusqu'à le transformer en torche tout comme son sbire précédemment... Un long saut en arrière, qui lui valut une grimace de souffrance... Il se trouva à nouveau à distance respectable du gmork, qui vacillait. Cela dit sa jambe avait du mal à le tenir... Son muscle semblait avoir été touché: il tomba sur son genou tandis que la jambe lâchait. Et la rotule en prit un sacré coup de même... Il retint un glapissement, mais impitoyable redressa la tête, pour envoyer un second rayon de lumière néfaste dans le dernier œil du gmork. Aveugle, il serait déjà nettement moins dangereux... Vu comme il saignait, vu comme il brûlait, handicapé d'une patte, il ne tiendrait de toutes les manières plus très longtemps. Un instant de répit permis au roux de chercher son allié du regard... Il n'avait pas eu l'occasion de voir comment il s'en était sorti. En tous les cas, le gmork désespéré ou presque avait décidé de charger. Il fonçait sur le brun à toute vitesse, même si il ne savait plus vraiment où il allait, et qu'à ce rythme il allait le louper d'un bon mètre. Il avait sans doute compris que si il ne le tuait pas sur le champ, il allait finir grillé en moins de deux.

Liff ne comprenait pas vraiment quelles étaient les armes du gmork, autre du moins que celles qui étaient visibles: les griffes, les crocs et peut être la queue, qui aurait tôt fait d'envoyer voler au loin tout être humain normalement constitué ne disposant d'aucune capacités surhumaines. Quelqu'un comme sans doute la plupart, ou du moins la grande partie des étudiants de l'université d'Hokubu, ainsi que leurs professeurs. Après tout, Liff ne pouvait pas (trop encore) se douter du passage incroyable de créatures en tout genre sur l'université, qui étaient tout comme lui, plus ou moins humaines. Bon, peut être que les occurrences nombreuses de phénomènes inexpliqués pouvait le mettre sur la piste. Puisqu'après tout, à ce sujet la réputation n'était plus à faire, et en à peine quelques jours sur le campus, Liff Kyrka avait pu croiser quelques étranges personnages, mais il n'y avait pas fait garde.

Non, ce qui le préoccupait c'était plutôt tout les humains qui pouvaient encore se trouver sur le campus à cette heure-ci. Qu'allaient-ils bien pensés en voyant le ciel s'obscurcir d'une si étrange manière? Il était tout à fait possible qu'une personne se risque sur le toit afin d'observer les choses d'un meilleur point de vue sur le ciel. Bon, après, il fallait sans doute disposer d'un télescope ou quoi que ce soit du style, mais bon, quelqu'un de curieux ferait peut être fi de ces détails. Kyrka grimaça à cet idée, "priant" très fort pour que personne n'ait cette idée stupide à un moment pareil. Surtout qu'en plus de prendre des risques inconsidérés, trouver un (futur) professeur accompagné d'un parfait inconnu aux prises avec un loup géant avait de quoi faire réfléchir. Et il n'avait guère envie qu'un élève se retrouve mêler à pareille affaire, c'était plus que certain. Lui en revanche, c'était une autre histoire...il était "majeur", si tant est que ce mot est un sens, depuis des lustres et se trouvait être tout à fait capable de prendre soin de lui. Ce qui n'était pas un mal.

Le brun en profita pour jeter un rapide regard à la scène. Kuanshar avait "allumé" le gmork, qui de rage, s'entoura d'une bulle d'ombre opaques.
Se méfiant des griffes de la bête qui n'en était pas une, il sortit de sa poche droite un bâtonnet de bois qui ne devait pas faire plus d'une dizaine de centimètre. Il souffla longuement dedans, tout en prononçant toujours d'obscurs paroles, dans un langage depuis longtemps oublié des hommes, si tant est qu'ils le maîtrisèrent un jour. C'est alors que le morceau de bois grandit, grandit et s'épaissit tout en conservant une certaine souplesse. A présent, il ressemblait fort à une perche, à peine plus rigide peut être.

Au moment même où le Gmork lançait son attaque dévastratrice et furieuse, l'homme s'élança en courant à très larges foulées, (aussi vite que lui permettaient ses grandes jambes) et bondit à l'aide de la perche improvisée au loin. Liff jura entre ses dents, en français* cette fois-ci, lorsqu'il s'aperçut que dans sa précipitation, il n'avait pas fait attention à sa trajectoire. Il crut un instant qu'il allait s'envoler et surtout, tomber hors du toit, ce qui aurait été un peu stupide et dangereux, tout de même.

"Putain de bordel de merde! *"

Mais finalement non, le sort fut clément avec lui. Le brun réussit à infléchir sa course, pliant sous ses mains la perche qui manqua de se casser en deux. Il attérit au loin, dans un des coins du toit, sans avoir eu l'occasion de voir l'action décidément héroique et pleine de testostérone qu'avait entreprit son nouvel allié. Alors que Kyrka se rétamait violement au sol, dans un beau fracas, il entendit cependant le hurlement du gmork et l'éclatement de l'os. Le brun roula en boule sur le flanc tout en grimaçant un peu. Il pouvait le sentir. Son sang coulait de multiples erraflures, sur son visage, ses mains...mais il semblait qu'il n'avait rien de grave. Peut être une coupure un peu plus profonde sur le flanc droit...Mais il en avait vu d'autres. Rien qui n'était comparable cependant, à ce qui lui avait causé cette cicatrice....

S'essyant le visage de la main, et étalant ainsi encore plus le sang, ce qui le rendait plutôt effrayant, le rouge cerclant même ses yeux verts qui ressortaient plus ténébreux qu'à l'ordinaire dans son visage anguleux, il se releva péniblement. C'est là qu'il vit le gmork qui lui fonçait dessus, ou plutôt tentait, parce que là, il le louperait à un bon mètre, au moins.
Liff se saisit de ce qui restait de sa perche et articula quelques syllabes dans un funèbre murmure, qui augurait bien de la fin du gmork.

"Acerée comme une lance"

Oui, ça devait être quelque chose comme ça. Le bâton s'affuta, pareil désormais à une lance primitive. Le gmork, peut être attiré par le bruit, se tourna un instant vers lui, mais la marionette de feu le rattrappait...Et l'homme (était-ce encore un homme?) ne lui laissa pas le temps d'agir. Il prit son élan et lança simplement, plutôt que de se battre au corps à corps, le bâton devenu javelot.

"Toujours il trouve son chemin à travers les chairs."

Alors qu'il disait ses mots, un étrange sourire sur le visage, qui ne l'éclairait point mais l'assombrissait plutôt, l'arme improvisée vint effectivement se planter sur le dos de la bête, la clouant presque au sol. Le râle horrible qui s'échappa de sa gorge écumante laissait présager de sa fin proche. La femme de feu s'agrippa à nouveau à lui, dévorant ses chairs avec appétit.
Liff ne chercha pas Kuanshar du regard. Il contempla le spectacle, impassible, muet et immobile.

[post terminé à l'arrache faut que j'y aille ><]

Décidément... avoir un allié ne faisait pas de mal de temps en temps. C'était un véritable soulagement de pouvoir souffler deux secondes tandis que le combat continuait à battre son plein. Concentré malgré cela, Kuanshar ne perdit pas une miette de l'attaque kamikaze du gmork qui, sans doute rendu fou par la douleur, et par la certitude de sa défaite imminente, avait décidé de jouer sur la force brute. Il observa la lame de bois qui s'affutait d'elle-même, tandis que son étrange allié prononçait des mots dans une langue qui lui était inconnue. Ce n'était d'un côté pas difficile pour lui de ne pas connaître un dialecte de cette Terre dont il ne savait presque rien... La lance improvisée se ficha dans le dos du gmork, qui continuait de perdre son sang, et de brûler. Il ne pouvait maintenant plus bouger, et un râle de presque agonie lui échappa. On pouvait dire, maintenant qu'on en était là, que le combat était terminé...

"Parfait..."

Bon... Kuanshar serra les dents, et prit son courage à deux mains avant de tenter de se relever. Bien heureusement, sa jambe répondit à l'appel. Au moins, elle n'avait pas été assez entaillée pour devenir complètement inutilisable... Il rangea sa dague à sa ceinture, comme pour annoncer la fin d'une lutte qui si elle avait été brève, avait tout de même été corsée. Finalement ce gmork s'était avéré un peu moins stupide que Kuanshar l'avait initialement pensé... Aurait-il été un peu plus réfléchi, et surtout un peu moins prétentieux, qu'il aurait pu leur donner du fil à retordre. L'anteversien s'approcha de l'endroit où l'action achevait de se dérouler. Maintenant que l'adrénaline retombait, son visage retrouvait un sérieux qui aurait pu paraître effrayant. Son expression glaciale n'augurait rien de bon... Son regard s'était fait impitoyable. La lueur de la vie les avait quittés, remplacée par une nuance opaque, vide, qui lui donnait l'air d'un véritable tueur... Eh oui. La protection solaire de Liff avait beau contenir tout ce mal qui vivait en lui, il y avait des choses qu'on ne pouvait effacer. Comme par exemple cette haine qu'il couvait, qu'il vivait, qui lui permettait de continuer à avancer, même si intérieurement, il n'était plus qu'une coquille vide, asséchée. Son vide intérieur rongeait tout ce qu'il restait de bon en lui, ne laissant plus face à Liff qu'un fanatique aux instincts vengeurs. A cet instant même, le néant le noyait tellement qu'on aurait presque pu confondre son aura avec celle du gmork à l'agonie.

"Vous paierez, tous autant que vous êtes, pour le mal que vous avez apporté... Je le jure sur le peu d'honneur qu'il me reste..."

Chaque fois qu'il se retrouvait dans cette situation, il se laissait emporter par son ressentiment. Chaque fois, il ne pouvait s'empêcher de penser à tous ceux qui avaient été tués à cause de ces bêtes sans vie propre... Audeiah, Jaylhu, leur fils... et maintenant Aishkhat et peut-être même Shayndar, sans parler de celui qui avait sacrifié sa vie pour sauver Aishkhat, vainement, et d'Azeleren, même si Kuanshar se sentait nettement moins proche de ce dernier que des autres, pour des raisons que le tempérament du dit Azeleren expliquaient aisément...

Il y eut un hurlement bestial, terrible. Un hurlement de souffrance émanant du gmork, lequel venait de voir sa seconde patte avant se décomposer sous l'effet d'une lumière dévastatrice dont l'origine était bien entendu Kuanshar. Ses pupilles blanches ne trompaient pas... Il aiderait à achever le gmork, à commencer par le changer en loup-tronc, simplement parce qu'il avait mérité de souffrir, et qu'au moins comme ça, il ne pourrait pas se relever pour par la force du désespoir lancer une dernière attaque, laquelle aurait pu être dévastatrice. Puis le hurlement se renforça. Les deux pattes arrières de la créature venaient de "disparaître" elles aussi, toujours aussi proprement... C'était un spectacle de torture qui aurait fait vomir n'importe quelle personne saine d'esprit qui serait passée par là, mais Kuanshar était totalement opaque à l'horreur de la chose, qui à l'instant lui semblait naturelle tant elle était méritée. Le feu de Liff avait progressivement raison du dernier souffle de vie qui courait dans la bête. Sa chair était entamée, progressivement rongée, et ses organes palpitaient dorénavant sous leurs yeux.

Yeux... Qui d'un coup voyaient nettement moins bien. Ce voile opaque venait de les recouvrir à nouveau, tandis que la conscience de Kuanshar s'étiolait. Il lui semblait que l'action ralentissait... Le gmork dans le feu... Et son dernier souffle de vie qui lui échappait... Enfin. C'était ce qu'il croyait avoir vu. N'était-il pas en train de tomber... Au ralenti..?

Au ralenti peut-être pas, mais l'anteversien venait en effet de s'effondrer par terre en beauté, après avoir chancelé, le temps de deux ou trois pas en arrière. La fatigue de ces derniers jours, passés à fuir sans relâche, avait fini par avoir raison de lui. Il relâcha la conscience de l'écureuil qui dans le parc était gaiement en train de courir. Le petit rongeur s'étala, raide mort, dans les feuilles qui jonchaient le sol. Un froid terrible gagnait Kuanshar, dont les yeux mi-clos trahissaient son restant de conscience... Il avait froid. Le vide... était glacial, et terriblement blessant... Mais déjà son esprit vacillait, et il s'évanouissait pour de bon. Peut-être était-ce mieux ainsi que de laisser ses plus sombres envies le contrôler...

Alors que Liff s'était fait muet, son esprit à des lieux d'ici, Kuanshar quant à lui, s'était relevé péniblement. Il grimaça un instant de douleur, mais parvint à tenir sur ses jambes. Alors plus terrible et implacable qu'auparavant, il s'approcha lentement du gmork, impuissant désormais et prisonnier des bras suaves de la flamme au corps de femme. Une aura glaciale émanait à présent du roux, qui avait les mâchoires serrés, un air inquiétant sur le visage. Quelque chose semblait l'avoir abandonné, alors que lui même se livrait tout entier à sa haine pleine de rage. Sa raison était loin, à présent. Il continuait à avancer résolument, malgré la douleur qui grimpait sûrement le long de sa jambe, pareille à une plante vicieuse. Kuanshar, aux yeux vides des plus inquiétant qui reflétaient ce qui l'habitait.


Mais tout ceci, Liff n'en avait cure, lui aussi perdu pour des raisons cependant différentes. Le passé qu'il aurait mieux fait d'oublier....ce passé remontait à la surface, sortant ses longs bras froids de l'eau glacée qui les retenait, des bras qui tentaient de s'accrocher à lui pour le noyer dans cette étendue liquide noire....

"Vous paierez, tous autant que vous êtes, pour le mal que vous avez apporté... Je le jure sur le peu d'honneur qu'il me reste..."

Cracha-t-il avant d'abaisser son regard d'ordinaire rouge, qui vira très rapidement au blanc, sans aucun doute dans le but de faire souffrir autant qu'il avait souffert, cela ne faisait aucun doute. Un observateur extérieur se serait sûrement inquiété de la scène, d'une cruauté certaine. Le jeune homme roux s'appliquait à découper une des pattes du gmork, qui agonisait déjà.
Cela dit, le hurlement du néant déguisé en loup eut au moins le mérite de sortir Liff de sa torpeur. Reprenant pied dans la réalité, il embrasa la scène du regard, et se précipita au devant de son compagnon:

" KUANSHAR! " hurla-t-il, le cri s'échappant malgré lui de sa gorge. Il avait déjà assisté à une scène similaire, et il savait très bien que le gmork était bientôt mort. Méritait-il pareilles souffrances? Certainement, mais pas au point d'en faire perdre la raison à ce jeune homme roux, qui semblait si sûr de lui.....Et pourtant si fragile. Il vit de ses yeux grands ouverts, le roux chanceler, perdre pied, mais au sens littéral, cette fois-ci. Il arriva à sa hauteur cependant pour le rattraper avant qu'il ne touche le sol.

"Kuanshar...." murmura-t-il, inquiet. Il s'accroupit à ses côtés, le jeune homme à présent sur ses genoux. Kuanshar respirait encore, comme il le constata bien vite. Il semblait aller presque bien, en fait. Liff, encore un peu confus, se demanda un instant ce qu'il convenait de faire tout en caressant distraitement les cheveux du jeune homme évanoui. Bien vite il se reprit, et demanda à sa flamme de réduire les corps en cendre. De toute évidence le gmork était mort, comme elle le lui confirma.

"Et moi?" demanda une petite voix qui sortait de sa besace abandonnée.
"Si tu veux bien rassembler mes affaires, je t'en saurais gré."
"D'accord!" La petite voix quitta le sac, et rassembla presto les effets de Liff, qui se redressa, saissaisant fermement son compagnon qu'il portait désormais... Un peu comme une princesse, afin qu'il ne se balance pas dans tout les sens.

Il le maintena fermement contre son torse, entre ses bras puissants et partit rapidement, dévalant les escaliers, la petite voix se trouvant désormais sur son épaule, sa besace au bras.
Maintenant où aller? Liff se dirigea prestement dans son appartement, se souvenant qu'il avait effectivement récupéré les clefs plus tôt, qui se trouvaient bien dans sa poche. Tout ceci ne prit que quelques instants, Liff étant plutôt du genre rapide dans ce type de situation. Il espéra que le jeune homme roux qui reposait à présent entre ses bras ne s'en soucirait pas. Ou pas trop. Liff eut un pauvre sourire avant de tourner les talons, se retenant à grande peine de jeter un coup d'oeil en direction du toit.


[FIN! suite> à venir]